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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/467

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indiqué par une pancarte, un des pays d’Europe ou d’outre-mer où l’Angleterre a des troupes. Et il y en a beaucoup de ces pays-là ! Or sur chacune de ces tables sont des sortes de damiers percés de trous alignés ; dans une partie de ces trous sont plantées verticalement des fiches en bois d’environ 10 centimètres, peintes de diverses couleurs. Chaque fiche représente une unité encore mobilisée ; chaque couleur indique l’arme à laquelle appartient l’unité (artillerie, corps médical, aviation, infanterie, etc...) On a ainsi d’un coup d’œil pour chaque pays considéré, et pour tout l’univers, l’état actuel, et la situation numérique de l’armée britannique tout entière.

J’ai beaucoup admiré ce système si simple, si pratique, si facile à tenir à jour, si parlant... si britannique. J’y ai retrouvé l’état d’esprit concret qui caractérise les Anglais, même lorsqu’il s’agit des sujets les plus abstraits, et qui fait que, là où un Français écrirait des formules et des équations, on voit un savant illustre comme Lord Kelvin représenter par des modèles mécaniques en bois, fer ou carton les propriétés les plus abstruses de l’électricité ou de l’éther.

Le jour où je fis cette visite (c’était le 14 octobre) l’Angleterre avait démobilisé 143 745 officiers et 3 262 163 hommes. Il en restait encore quelques-uns à démobiliser, si j’en juge par l’impressionnant alignement des petites fiches coloriées qui se dressaient encore sur la table du major-général Burnett Hitchcook.

L’honneur d’être reçu par le Premier britannique en sa demeure de Downing-Street est le plus appréciable peut-être de ceux qui peuvent flatter un visiteur allié. Le Right Honorable Lord George, ce petit homme énergique et fin qui gouverne le puissant empire de la Terre, et qui a eu le terrible privilège de diriger la nef britannique dans la plus grave tempête qu’elle ait jamais affrontée, n’a pas beaucoup de minutes à perdre. C’est une faveur digne de gratitude pour un étranger, que d’en occuper quelques-unes.

On a beaucoup discuté et on discutera longtemps encore sans doute, le rôle éminent que Lloyd George a joué dans ces heures tragiques de la planète. Ce n’est point mon affaire d’avoir une opinion là-dessus, et si j’en ai une de la dire ici. Ce qui est très vrai, c’est que Lloyd George, lorsqu’il a donné de sa personne, l’a fait dans le sens d’une intensification toujours plus grande de la lutte pour la victoire. Ce qui est sûr aussi, c’est qu’il a eu pour la France, aux heures cruelles de l’angoisse, des paroles et aussi des actes qu’aucun cœur bien placé ne peut oublier. Peut-être a-t-il été, un pou à notre égard, comme ces époux sensibles et ardents qui, lorsque l’être cher est en danger de