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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/535

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véritable geôle féodale : l’Assemblée législative en cédant à son autoritaire rivale ne voulait entrevoir que le palais du grand prieur : d’ailleurs les députés, pour la grande majorité provinciaux débarqués depuis peu de mois à Paris, connaissaient-ils seulement le Temple ? Ni l’Assemblée, ni la Commune ne se risquaient, crainte de conflit, à demander ou à fournir des précisions ; mais la détermination des municipaux était prise : maintenant qu’ils tenaient en leur possession le Roi dont l’Assemblée paraissait se désintéresser, c’était dans la Tour qu’ils se disposaient à l’incarcérer. La différence était notable : dans un palais, le Roi fût demeuré le souverain, momentanément dépossédé de sa demeure habituelle ; dans un cachot, il n’était plus qu’un criminel, déjà retranché du monde en attendant le châtiment.

Le palais du Temple, inhabité depuis 1789 et mis sous scellés, abritait un certain nombre d’anciens serviteurs du Comte d’Artois, tolérés là comme gardiens par suite de l’émigration du maître. À gauche, en pénétrant dans la cour du palais par le portail de la rue du Temple, se trouvait la loge de Gachet, l’ancien suisse : il vendait à boire, et son estaminet était tenu par un vieux bonhomme qu’on appelait le père Lefebvre, lequel était lui-même en pouvoir d’une servante, la mère Mathieu.

Tout à côté de la buvette était le logement de Darque, le portier, ci-devant bedeau du Grand Prieuré : il vivait au Temple depuis le temps lointain du prince de Conti, avait vu bien des choses et bien des gens et se considérait comme faisant partie de la maison. À droite de l’entrée, dans l’autre angle arrondi de la cour, logeait Jubaud, l’ancien concierge du Palais : il avait un domestique, nommé Gourlet. D’autres fonctionnaires, de moindre importance, ayant également porté naguère la livrée du Grand Prieur, demeuraient dans les dépendances : le balayeur Mancel, — Baron, à qui était confiée la garde des scellés, — le scieur de bois Angot, — la dame Rokenstrohe, lingère, — et Piquet, le concierge des écuries vides. Le Temple comptait en outre un habitant de rang supérieur : c’était M. Berthélemy, garde des archives de l’ordre des Templiers, logé dans un bâtiment accolé à la Tour et faisant corps avec elle ; ce bâtiment, de construction bien postérieure à celle du donjon, avait été concédé en 1782 à M. Berthélemy, qui l’avait