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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/536

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aménagé en une confortable et élégante demeure comprenant quatre étages : en bas, presque au sous-sol, bureau pour les commis, et cuisine ; au-dessus, salle à manger et cabinet-bibliothèque ; un joli salon, avec balcon sur le jardin, et salle de billard au premier étage, et, en haut, une chambre à coucher et ses dépendances. On appelait ce bâtiment la petite Tour, en raison de deux tourelles d’angle qui mariaient sa silhouette à celle du puissant donjon mitoyen.

Quand Turgy, avec ses deux camarades Chrétien et Marchand, fut dans la place, il s’ingénia aussitôt à se rendre indispensable. Il assure n’avoir trouvé là « aucunes provisions, » et dut sortir « jusqu’à trois fois pour se procurer le nécessaire ; » pourtant, depuis le matin, la Commune préparait le Temple afin d’y recevoir son hôte ; elle avait décidé de le traiter, une dernière fois, royalement ; un grand souper devait être servi et elle avait convoqué, à cette intention, l’un des chefs de la « Bouche » des Tuileries, Gagnié qui, bien certainement, avait amené ses chefs d’office, ses rôtisseurs, ses sauciers et ses marmitons. Même, en prévision de cette réception solennelle, on avait, en hâte, épousseté et lessivé les boiseries des grandes salles du Palais et disposé des lampions pour illuminer, la nuit venue, tous les bâtiments et tout le pourtour du jardin. Or, comme l’ordre était que le Roi quitterait les Feuillants à trois heures de l’après-midi, il est bien probable que ces préparatifs étaient terminés à six du soir. Ils concordaient peu, d’ailleurs, avec l’intention arrêtée de loger la famille royale à la Tour ; il semble bien que ce projet était encore tenu secret : à la séance du jour, plusieurs membres de la Commune l’avaient combattu, sans succès. Au reste, Gagnié et ses aides eurent tout le temps de cuisiner le repas, Turgy et ses collègues celui de dresser le couvert, car le cortège amenant les captifs eut un retard considérable. Avant de quitter les Feuillants, il avait fallu discuter avec Pétion, maire de Paris, la liste des serviteurs dont Louis XVI souhaitait n’être point séparé : il en réclamait douze et n’obtint, « à force de représentations, » que deux valets de chambre, Hue et Chamilly, et quatre femmes, Mmes Thibaud, Saint-Brice, Basire et Navarre. Puis on avait dû s’entasser dans deux grands carrosses de la Cour dont chacun était attelé de deux chevaux seulement ; les cochers et les valets de pied ne portaient plus la livrée royale ; on les avait habillés de gris.