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de vieux parchemins, rien que des murs de pierre ; à chacun des étages, une seule salle de 65 mètres de superficie, voûtée d’ogives naissant d’un gros pilier central ; sur chaque face, deux fenêtres percées au fond d’un vaste ébrasement intérieur, qui témoignait de l’énorme épaisseur des murs, au niveau de chacune des salles, trois cabinets de forme circulaire pris dans les tourelles d’angles et éclairés par d’étroites meurtrières. La quatrième tourelle contenait l’escalier montant jusqu’au comble où se trouvait un grenier, entouré d’un chemin de ronde dont le parapet était crénelé. Pour rendre habitable cette forteresse féodale, la Commune venait de désigner un entrepreneur avisé, le « patriote » Palloy, célèbre alors par la démolition de la Bastille et qui, par un singulier revirement, après avoir jeté bas, non sans gloire et sans profit, l’antique prison symbolique, se voyait appeler à en aménager une autre dont le renom serait plus tragique encore.

Cependant on travaille aux arrangements de la Petite Tour ; on apporte de chez Masson, tapissier, un lit pour le Dauphin : c’est une couchette en bois blanc, à haut dossier, garnie de cretonne à fond blanc semé de fleurettes roses. Puis ce sont des ustensiles pour la table ou le ménage, de la papeterie et des cartes, une baignoire pour le petit prince. La Reine reçoit une montre d’or, fournie par Bréguet, du prix de 960 livres. La famille royale est arrivée au Temple dénuée de tout ; il lui faut du linge et des vêtements : les fournisseurs affluent ; le Roi commande un habit de drap fin, fait en frac de couleur foncée, des culottes de drap Casimir de différentes couleurs, des vestes de basin piqué ; des bas de soie gris, des pantalons de basin blanc, des souliers à boucles ; et aussi : « quelques taffetas pour pied, une éponge à visage, une éponge pour les dents (voir chez Dubois, dentiste), plusieurs peaux pour la jambe (chez Daillé, chirurgien, rue du Pot-de-Fer), six rasoirs et des ciseaux de toilette, un outil pour lacer et délacer les brodequins et des doublures de culottes. » Pour la Reine, pour Madame Elisabeth et pour Madame Royale, trente couturières, modistes, dentellières, lingères, brodeuses, travaillent sans répit : il faut des pierrots de percale rose et blanc, bleu et blanc ; un pierrot de toile de Jouy, une robe chemise à col ; une redingote de petit taffetas de Florence, couleur boue de Paris, nouée par devant, avec gousset pour la montre ; des bas