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Ce n’est pas tout encore : « le jardin du Temple sera fermé à toutes personnes quelconques à l’exception de l’adjudant et de l’officier de service ; » par surcroît, comme on ne peut interdire aux prisonniers de prendre l’air, on a cru prudent de les parquer, à l’heure de la promenade, « dans une enceinte très restreinte, fermée de planches, » en attendant que Palloy ait terminé les hautes murailles qu’il édifie. Et quand, après quinze jours de réglementation si précautionneuse, le Conseil général de la Commune entendait l’un de ses membres annoncer que des conspirateurs « formaient le projet d’enlever la famille du tyran, » il cherchait en vain par quelle mesure nouvelle renforcer sa surveillance et couvrir sa responsabilité.

Les commissaires vivaient dans une alarme perpétuelle : — « tout leur faisait peur, tant ils se sentaient coupables, » écrit Madame Royale. Un jour, aux environs de la Tour, un soldat, pour essayer son fusil, le décharge en l’air ; on l’arrête, on l’interroge longuement ; n’est-ce pas un signal ? Procès-verbal est dressé de l’événement. Certain soir, à l’heure du souper, on entend crier : Aux Armes ! Cette fois ce sont » les étrangers » qui approchent et vont délivrer le tyran. La porte-clef de la Tour tire son sabre et dit à Louis XVI : — « S’ils arrivent, je te tue ! » Enquête faite, il s’agissait « d’un embarras de patrouille. » Une autre fois, comme des ouvriers de Palloy s’attaquent, pour l’enlever, à la grille de la Rotonde, les municipaux de la garde accourent, croyant que la population donne l’assaut, et les ouvriers sont dispersés. L’obsession des prisonniers égale celle de leurs geôliers : ceux-là redoutent une séparation, toujours menaçante, et surtout que le Dauphin leur soit ravi. Malgré leur répugnance, le Roi et la Reine s’astreignent à la promenade quotidienne, n’osant laisser leur fils sortir seul dans le jardin, « de peur de donner aux canonniers la pensée de s’en emparer. » Ainsi de part et d’autre, chez ceux qui ordonnent comme chez ceux qui se résignent, à la Commune, dans le peuple de Paris, au camp des royalistes aussi bien que dans le parti révolutionnaire, l’idée de l’évasion ou de l’enlèvement plane sur la Tour du Temple dès les premiers jours, tant paraît inadmissible à la France entière que son Roi puisse être captif dans sa capitale sans que rien soit tenté pour sa délivrance. L’intérêt anxieux du pays se concentre surtout sur la tête blonde du Dauphin qui n’a commis aucune faute, mérité aucun reproche,