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que ces discours, étaient déjà, au sein même de l’oppression, des bulletins de sereine victoire ; mais nous ne savions rien de l’escrime qui les avait précédés et suivis.

Nos curiosités sont désormais satisfaites : une publication de M. Fernand Mayence, professeur à l’Université de Louvain, place sous nos regards la correspondance échangée entre le cardinal Mercier et le gouvernement allemand durant l’occupation [1]. Une trame d’indications historiques, sobres et substantielles, relie ces divers documents : au jour le jour, devant nous, le cardinal est aux prises avec l’Allemagne.


I. — PREMIERS CONTACTS AVEC L’ALLEMAGNE : L’ÉVOCATION DU CRIME

Au début de septembre 1914, von der Goltz s’installait à Bruxelles, comme premier gouverneur général. Un certain nombre de communes belges étaient veuves de leurs prêtres, de leurs instituteurs, déportés en Allemagne, sans raison, dans le terrible mois d’août ; et beaucoup de familles tremblaient que les jeunes gens qui allaient atteindre à l’âge de servir ne fussent emmenés à leur tour, et peut-être incorporés dans l’armée des bourreaux. Les pouvoirs publics légitimes, du haut des falaises de Sainte-Adresse, perpétuaient vis-à-vis de l’univers la personnalité d’une nation bâillonnée, et dont l’épée royale gardait héroïquement le dernier lambeau de terre. Mais ces communes lésées, ces familles angoissées, avaient besoin d’un interprète qui fût au milieu d’elles, et qui sût se faire craindre : le cardinal Mercier fut cet interprète. Dans la Belgique d’alors, il n’y avait plus de partis, il n’y avait qu’une souffrance, collective, unanime. Parce qu’archevêque, il se sentait le père de toute cette souffrance. Et parce qu’archevêque, aussi, il estimait qu’en se faisant l’avocat d’un peuple accablé, sa voix ne devait jamais se départir de cet accent de souveraineté que sur les lèvres de l’Eglise les faibles ont toujours aimé.

Le cardinal vit von der Goltz, réclama le rapatriement des déportés, le respect de la nationalité belge dans la personne des jeunes gens belges. Le lendemain, von der Goltz se rendait chez lui, déclarait qu’il travaillait au rapatriement et promettait, sans vouloir engager ses successeurs, que son administration

  1. Paris, Gabalda ; Bruxelles, De Wit.