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ne toucherait pas aux jeunes gens. Puisse la vie normale, ajoutait-il, recommencer sans trop tarder !

Quelques jours plus tôt s’était déroulée la « tragédie d’Aerschott, » la féroce fusillade de cent quarante-neuf civils ; et von der Goltz soupirait vers la « vie normale. » Le cardinal, alors, évoqua ces atrocités, fit sentir qu’elles ne pouvaient être oubliées. Von der Goltz fut visiblement embarrassé. Venu pour répondre à une requête, il devait subir un réquisitoire. C’était le cardinal qui dirigeait l’entretien et qui contraignait l’Allemand d’écouter la protestation des morts. Son dialogue avec les autorités occupantes affectait, dès ce jour-là, l’allure qui toujours devait les tenir en échec. Souvent elles lui diront : Nous sommes chez vous, collaborons. Et régulièrement il objectera : A quel titre êtes-vous chez nous ? et une fois entrés, qu’y avez-vous fait ? Il ne se fût pas comporté en évêque, s’il eût permis à la pécheresse qu’était l’Allemagne de passer elle-même l’éponge sur ses propres crimes en disant allègrement : Reprenons la vie normale.

Le 8 décembre 1914, un pli lui parvenait, envoyé par le cardinal von Hartmann, archevêque de Cologne. Le prélat rhénan exprimait l’espoir, — qui jamais ne se vérifia, — que les prisonniers flamands recevraient bientôt des aumôniers de leur langue ; mais le but de son message était d’annoncer à l’archevêque de Malines le remplacement de von der Goltz par un « homme intelligent, circonspect, juste et bienveillant, » nommé von Bissing, qui « aurait à cœur de répondre aux désirs des évêques. » A cette assurance, le cardinal von Hartmann joignait la lettre qu’il venait de recevoir de von Bissing lui-même. Le nouveau gouverneur général y disait :


Dans une grande partie de la Belgique, le clergé catholique représente une force dont on ne peut méconnaître l’importance ; aussi ne voudrais-je pas manquer d’entrer en relations avec lui et avec ses chefs. J’espère persuader le cardinal de Malines que je suis décidé à tout faire pour donner satisfaction à l’Église catholique ; mais d’autre part je compte bien qu’il reconnaîtra le vif désir qui m’anime d’attacher une importance capitale, tout en sauvegardant, bien entendu, les intérêts militaires, au soulagement des misères que les circonstances actuelles ont créées en Belgique.


Le lendemain même, von Bissing en personne écrivait au