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les lois de la civilisation, c’étaient les procédés des Allemands à l’endroit des Belges.

Au lieu d’expédier à Cologne cette lettre éloquente et gênante, von Bissing la mit dans son tiroir : il interceptait ainsi le commerce entre deux princes de l’Eglise, dont l’un était son compatriote. De son premier contact avec le cardinal Mercier, l’infortuné vainqueur gardait cette impression, que le souci même d’obtenir le redressement des injustices réparables n’étoufferait jamais, sur les lèvres de ce prêtre, les protestations contre ce qui demeurait inexpiable.


II. — LA PASTORALE : « PATRIOTISME ET ENDURANCE »
VON BISSING À L’ASSAUT DES CHAIRES

Il apprit soudainement, au 1er janvier 1915, que toutes les chaires du diocèse répercutaient les protestations cardinalices. Une lettre pastorale venait de paraître, qui s’intitulait : Patriotisme et endurance : les curés avaient ordre de « la lire intégralement aux fidèles, sans omissions ni coupures, quel que fût le pouvoir qui interviendrait pour donner des ordres contraires. » Trois officiers, le 2 janvier, survinrent au palais archiépiscopal : von Bissing les chargeait de représenter à Son Eminence que la pastorale excitait les populations. — Elles souffrent, expliqua le cardinal ; je leur ai dit que je souffre avec elles. — Von Bissing jugeait spécialement inacceptable qu’un archevêque enseignât aux Belges que le pouvoir envahisseur n’était pas une autorité légitime et que dès lors, « dans l’intime de leur âme, ils ne lui devaient ni estime, ni attachement, ni obéissance. » — Mais assurément, insista le cardinal, le pouvoir occupant n’est pas l’autorité légitime. A ce pouvoir, on ne doit que le respect et l’abstention de tout acte d’hostilité ; rien de plus, et j’ai toujours prêché cette abstention. — Von Bissing faisait exprimer sa surprise que l’auteur de la pastorale eût jugé nécessaire de rappeler aux fidèles certains « faits anciens, » les faits du mois d’août. — Leurs souffrances, reprit le cardinal, sont le résultat de ces faits ; comment affecterais-je de les ignorer ? — Von Bissing faisait connaître son mécontentement que l’écrit cardinalice n’eût pas été soumis à la censure. — La réponse fut : « C’est un règlement que j’ignorais. »

Les trois officiers rentrèrent à Bruxelles. Le soir même, un