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celui-ci. Tire-t-on sur vous ? Le pays n’est-il pas resté calme ?

Entamant le procès même de cette race germanique qui prétendait lui donner des juges, le cardinal continuait en propres termes :


« Les Allemands ont leurs qualités, assurément ; mais ils manquent de psychologie. Vous croyez que l’on gouverne le monde avec des formules abstraites. Vous vous figurez que le mode de domination qui a pu vous réussir en Allemagne doit vous réussir ici. Vous vous trompez du tout au tout. J’ai passé ma vie dans l’enseignement ; j’y ai appris que pour faire l’éducation d’un jeune homme, il faut le connaître avant de lui appliquer des formules. Légiférer et appliquer la législation, c’est deux. Vous paraissez ignorer ces vérités élémentaires.


Von der Lancken, silencieux, enregistrait ce jugement sur l’Allemagne. Le gouverneur est bienveillant, avait-il dit dans sa note ; pourquoi ne collaborez-vous pas avec lui ! Le cardinal, très maitre de lui, très méthodique, abordait cette seconde question :


Il y a, entre M. le gouverneur général et nous, une équivoque fondamentale. Il voudrait nous voir soumis, et nous avons la prétention de rester intérieurement, de cœur et d’âme, insoumis. Nous respectons extérieurement vos règlements, dans la mesure où ils sont nécessaires à l’ordre public, mais notre obéissance va ailleurs.


L’envoyé de von Bissing dut écouter et supporter, sur les lèvres du prélat, l’éloge de ce « patriotisme militaire » qui poussait les jeunes Belges à fuir pour s’enrôler au service de leur patrie. — Pourquoi les traitez-vous en criminels ? interrogeait Mgr Mercier. Pourquoi frappez-vous le prêtre coupable de ne pas refuser une aide fraternelle à un Belge qui expose sa liberté et sa vie pour aller rejoindre notre armée ? Et puis, brusquement :


Voulez-vous que je vous fasse une confidence ?... Il s’agit d’un personnage, et pas des moindres, de votre entourage. A un prêtre qui s’étonnait de la fréquence des arrestations de prêtres et de religieux, cet homme politique répondit : on se venge sur eux de l’attitude du cardinal. Est-ce de la bienveillance, cela, est-ce de la justice ?


La note de von der Lancken avait fait allusion aux requêtes fréquentes que l’archevêque de Malines adressait à von Bissing. De ce chef, répondit tranquillement son interlocuteur, je ne vous dois aucune reconnaissance ; et il lui rappela les nombreuses