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Le baron von Bissing était un croyant ; il m’a dit un jour, je m’en souviens, avec un accent qui ne trompe pas : je ne suis pas catholique, mais j’ai foi au Christ. Je prierai le Christ, bien sincèrement, pour le repos de son âme.


Ainsi s’étendait la prière du cardinal sur l’ennemi désarmé par la mort. Von Falkenhausen, bientôt, s’installa dans Bruxelles pour ressaisir, avec le titre de gouverneur général, les armes tombées en déshérence ; de nouveau, devant lui, le cardinal fut debout, et par une sorte d’ironie à l’adresse de cette Allemagne qui, chaque fois qu’il accomplissait tout son devoir d’évêque, lui reprochait de faire de la politique, les circonstances allaient l’amener à devenir vis-à-vis de l’Allemagne, du peuple belge, du Pape, le tribun de l’unité nationale elles même, savamment sapée par l’envahisseur.

Les Allemands, depuis le 3 mars 1917, considéraient la Belgique comme divisée en deux régions administratives : l’une flamande, l’autre wallonne. L’essence même du peuple belge était menacée [1]. Pour protester, un certain nombre de fonctionnaires démissionnèrent : von Falkenhausen, rageur, les déporta. « Ce sont des braves, intervint le cardinal ; ils ont usé de leurs droits en renonçant à leurs fonctions ; on ne frappe ni de l’exil ni de la prison le légitime exercice d’un droit. » Il rappelait au gouverneur les conférences de La Haye, les déclarations qu’elles avaient faites pour garantir en pays occupé la liberté des fonctionnaires. Puis le cardinal, se tournant vers ses doyens, ramenait leurs pensées vers le mandement qu’il avait écrit en 1910 sur la « piété patriotique » et sur le lien qu’elle imposait aux consciences. L’heure était venue, pour les consciences, de s’examiner sur ce chapitre, et de se surveiller, et d’accord avec ses suffragants, le métropolitain déclarait : « Ceux-là seraient traîtres à la patrie, qui seconderaient les tentatives de rupture de notre unité nationale. » Toutes les âmes qui admettaient la direction de l’Eglise n’avaient désormais qu’à répondre à l’Allemagne : L’Eglise ne permet pas. Le Vatican recevait, à ce sujet, un long rapport de Malines. L’effort le plus acharné qu’eût fait l’Allemagne pour couper la Belgique en deux se brisait contre la doctrine du cardinal sur la piété envers la patrie.

  1. Voir notre brochure : L’unité belge et l’Allemagne (Paris, Payot).