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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/611

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IX. — DERNIÈRES ESCARMOUCHES ; L’ADIEU DE VON DER LANCKEN ; L’ALLEMAGNE EN CHAIRE

— Faut-il donc, demandait-il à von Falkenhausen, « accumuler, en Belgique, les facteurs de discorde et de rancune, ou bien y laisser, plutôt, un dernier souvenir qui parlât d’équité ? » « Un dernier souvenir !... » Le cardinal, discrètement, commençait à sonner le glas de la domination allemande. L’année 1918 s’inaugurait : l’Allemagne, qui la sentait décisive, songeait de moins en moins à « l’équité. » Elle n’avait qu’une idée : ramasser partout de quoi vaincre.

Des vivres et du combustible, d’abord : et c’est pourquoi les Centrales dureraient, c’est pourquoi les Belges continueraient d’avoir faim, d’avoir froid.

Du bronze, ensuite : la Belgique, en février 1918, fut invitée à livrer ses cloches. L’Empire luthérien, dans son affolement, avait récemment assis sur le fauteuil de Bismarck et de von Bethmann un catholique, un philosophe, — un thomiste, même, tout comme le cardinal Mercier : le baron von Hertling. Le cardinal lui rappela ce qu’une cloche symbolisait :


Catholique comme nous, Votre Excellence n’ignore pas que la saisie violente d’une cloche d’Église est un sacrilège. Nous trahirions à la fois l’Église et la patrie, si nous commettions la lâcheté de fournir à l’ennemi la matière d’engins de destruction, destinés à porter la mort dans les rangs des héros qui se sacrifient pour nous.


Von Hertling accueillit la requête du cardinal, et dans les beffrois les cloches restèrent, tenant en haleine, pour le prochain mois de novembre, l’allégresse de leurs carillons.

Après le bronze, la force allemande réclama les laines : asiles de vieillards, de malades, d’enfants, furent vidés de leurs matelas. Malgré les instances cardinalices, von der Lancken ne voulut laisser aux Petites Sœurs des Pauvres de Bruxelles que cinquante matelas sur quatre cent cinquante. Le cardinal indigné, lui accusant réception de cette « bien triste réponse, » s’écriait :


Oh ! l’horrible déformation des consciences, opérée par le militarisme !

Vous trouvez aussi, monsieur le Baron, qu’il doit être possible à nos prisonniers débilités de rester à jeun jusqu’à neuf heures pour communier le dimanche.