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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/612

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Il y a généralement des prêtres parmi les détenus : on se demande en quoi la permission que je sollicitais pour eux de dire une messe plus matinale pourrait nuire à la discipline de la prison de la Kommandantur. Et vous la refusez ?

Encore une fois, je me tais. Vous me coupez la parole.


On était alors au 21 juin 1918 : von der Lancken, tout le premier, mesurait la gravité de l’heure. Les événements se ramassaient, se précipitaient : chacun des coups de bélier portés par chacune des armées de Foch faisait osciller sous la botte allemande le sol de la Belgique. La puissance occupante semblait se faire plus modeste ; le cardinal n’avait plus à la remettre à sa place d’ « occupante, » dont jamais il n’avait admis qu’elle sortît. La correspondance était suspendue.

Elle fut reprise, près de quatre mois après, par von der Lancken. Le jeudi 17 octobre, à trois heures de l’après-midi, l’ancien conseiller d’ambassade à Paris se présentait à l’archevêché de Malines. Au nom du gouvernement général et du gouvernement de Berlin, il remettait au cardinal Mercier une déclaration qu’il avait rédigée en français. Le cardinal, plus de quatre ans durant, avait vu l’orgueil germanique s’épanouir en mesquineries, en duretés, en cruautés : aujourd’hui, sur les décombres de cet orgueil, un peu de noblesse fleurissait. La déclaration était ainsi conçue :


Vous incarnez pour nous la Belgique occupée, dont vous êtes le pasteur vénéré et écouté. Aussi est-ce à vous que Monsieur le gouverneur général et mon Gouvernement m’ont chargé de venir annoncer que, lorsque nous évacuerons votre sol, nous allons vous rendre spontanément et de plein gré les Belges prisonniers politiques et déportés. Ils vont être libres de rentrer dans leurs foyers, en partie déjà dès lundi prochain, 21 courant. Cette déclaration devant réjouir votre cœur, je suis heureux de venir vous la faire, d’autant plus que je n’ai pu vivre quatre ans au milieu des Belges sans les estimer et sans apprécier leur patriotisme à sa juste valeur.


L’hommage dont von der Lancken avait reçu mission d’être l’interprète était l’hommage d’un empire lézardé, déjà presque effondré : l’expression dont il le revêtait était à la hauteur de ces tragiques événements. Il lui restait une heure, une seule, pour comprendre enfin la Belgique, avant de l’évacuer : il saisissait cette heure, il faisait bon usage de l’humiliant désastre ; il comprenait, mais trop tard. Et sur le pas de cette porte archiépiscopale