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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/618

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géante placée devant mes yeux ; et la nuit montante ne pouvait m’arracher à ce spectacle.

Dans l’air embrasé, mon oiseau tout rose, semblable à quelque ibis sacré, se balançait au gré des souffles du soir. A l’Est, les grèves de la grande île néerlandaise de Walcheren éclairée par le couchant fermaient l’horizon assombri d’une étroite bande d’or, et la terre de France, sous un brouillard livide, la côte de Boulogne et le cap Gris-Nez se détachaient plus obscurs de la mer lumineuse encore. L’heure n’était plus ni a la guerre, ni à la paix, ni à aucune réalité humaine.


UN CONTRE SIX


18 juillet.

Sorti avant-hier, nouveau jour « J, » à la faveur d’une éclaircie, je perds mes camarades parmi des nuages et vais me harder tout seul à 20 kilomètres chez l’ennemi, au milieu d’une patrouille de huit albatros « bimitrailleuses » en pensant rejoindre mes compagnons ! Quel bruyant accueil me fut fait ! Après plusieurs passes de combat, j’échappai, à la faveur de la brume et de mon vol zigzagué de bécassine, à une mitraillade insensée qui me reconduisit jusqu’à nos lignes. Déjà mon chef de patrouille m’avait porté disparu ; une affectueuse ovation m’attendait ! Des milliers de balles tirées sur moi, pas une n’avait atteint mon avion.

Aujourd’hui, un appareil d’allures suspectes nous contraint à une montée rapide au delà de 5 000 mètres. Un peu essoufflé peut-être, je redescends posément sans perdre de vue ma patrouille étagée plus bas. Soudain, par derrière, crépitent encore des mitrailleuses ; d’une manœuvre réflexe me voici face à l’assaillant ; de nouveau six albatros tourbillonnent sur ma tête ! D’où sortent-ils ? Le ciel était parfaitement vide ! Pas un ami ! Pas un nuage où se dissimuler. La forêt d’Houtulst étale sous mes ailes ses rectangles verts, et les lignes se dentellent en arrière, à huit ou dix kilomètres ! Voilà en perspective une jolie première de la répétition d’avant-hier, puisse la chance m’être aussi favorable !

Tac, tac, tac, tac... Touché ! A peine ma première rafale lâchée, en « coup du roi, » sur un assaillant venu « faire Saint-Esprit » au-dessus de moi, que des balles avec un bruit