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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/647

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toutes les élégances : lui aussi, c’est à l’âme surtout qu’il devait les porter. Jamais chez lui de ces traits de vulgarité, qui, même chez de grands écrivains, décèlent la médiocrité. des origines. Tant pis pour ceux qui ne sentent pas le prix de cette distinction.

Cet enfant du Midi était un silencieux. Son occupation préférée, c’était de pécher à la lune. Il a lui-même décrit, un jour, cette pêche, la plus belle qui soit au monde. Le rêveur faisait prévoir le poète. L’auteur dramatique aussi s’annonçait. Il y avait, à Marseille, de l’autre côté de la rue, un marchand de pupazzi. Edmond traversait souvent la rue et ramenait quelque vedette nouvelle pour la troupe de marionnettes dont il s’était fait l’imprésario. Citons enfin, puisqu’il a lui-même éprouvé le besoin de l’évoquer dans une circonstance solennelle, l’une des influences qui semblent avoir le plus agi sur lui : celle du « correspondant » qui le faisait sortir pendant ses années de collège. Il « arrivait brusque, pimpant, la moustache ébouriffée, l’œil bleu : je le vois encore. Il m’enlevait gaiment, me transportait dans des paysages bien choisis, et me contait de belles histoires de guerre et d’amour. Il me ramenait ébloui et reposé ; il m’avait appris de tout sans avoir l’air de rien ; j’entends encore sa voix charmante ; il s’appelait Villebois-Mareuil. » C’était l’époque où Rostand était à Paris pour y achever ses études.

Que furent ces études ? Je puis en témoigner, n’ayant jamais oublié ce matin de novembre 1884, où le petit Marseillais de quinze ans débarqua dans la Rhétorique que je professais alors au collège Stanislas. Sur l’exemplaire des Musardises que je tiens de son amitié, je lis, tracé de sa main, que ce souvenir est celui d’un « mauvais élève. » Il le disait en souriant ; d’autres l’ont répété gravement, parce qu’il est convenu que, pour devenir un maître de la langue française, il importe de n’avoir pas commencé par en apprendre la grammaire. La vérité est qu’Edmond Rostand fut un brillant rhétoricien. Il se peut qu’il eût un Victor Hugo dans son pupitre et qu’il crayonnât des vers dans les marges. Il se peut qu’il n’ait pas eu pour tous les exercices scolaires la même ardeur. C’est qu’il réservait le meilleur de son jeune labeur à la composition française. Ses « discours, » lus tout haut en classe, lui valurent les « premiers feux de la gloire. » Nous comptions bien qu’à la fin de l’année il aurait le prix d’honneur au Concours général :