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avec respect, en silence ; les applaudissements éclataient aux Romanesques. On ne put jamais ôter à Rodenbach l’idée qu’il y avait là-dessous de la cabale. Une atmosphère d’optimisme faisait de cette pièce souriante « un repos naïf des pièces amères. » Il y avait longtemps que le romanesque chez nous était discrédité : cela datait du jour où Flaubert avait fait cette belle découverte qu’il mène sûrement aux pires turpitudes. Edmond Rostand, dans l’allégresse de ses vingt ans, rapportait à ses compagnons d’âge le droit au romanesque.

Comme je le félicitais de cette brillante, vive et spirituelle entrée qu’il venait de faire dans la littérature, je me rappelle l’insistance qu’il mit à me répéter qu’il ne fallait, pas le juger sur cette première œuvre, qu’il avait autre chose en tête, tout à fait autre chose, qu’on verrait, qu’on serait surpris, que ce serait une autre manière, une autre teinte. Cette autre teinte, dont il était aisé de deviner qu’elle lui agréait davantage, cette autre manière dont il faisait plus de cas, c’était celle de la Princesse lointaine. Quatre actes de mélancolie, c’est un peu long ; et ce moyen âge de légende et de chevalerie ne laisse pas d’être conventionnel. Mais l’idéal du poète commence à se préciser. C’est déjà sa conception de l’amour, du seul qu’il ait voulu accepter dans son œuvre, l’amour pur, noble, source de toutes les fiertés. C’est sa conception de la vie : Frère Trophime professe que le Seigneur gagne tout à toute chose grande et désintéressée. Et c’est la foi qu’il a dans les humbles, les petits, les obscurs, pour deviner, par un instinct qui est en eux, les inspirations les plus grandioses, et y répondre par un dévouement sans limites. Les mariniers « cœurs d’azur dans des piquants sauvages » qui, en prenant pour eux les souffrances d’une navigation périlleuse, permettent à Geoffroy Rudel d’accomplir son pèlerinage d’amour, sont les ancêtres de ces autres grands cœurs et de ces cœurs simples qu’incarnera Flambeau.

Pour ce qui est de la Samaritaine, j’avoue n’avoir jamais pu m’y plaire. Au surplus, si ce fut de la part du poète une concession à la mode et au goût d’une grande artiste, on la lui a assez cruellement reprochée. On lui en a voulu d’avoir dit sur l’Évangile de si jolies choses. On a raillé sans pitié ce Jésus dilettante qui s’amuse à décrire l’anse que dessine sur le ciel le bras levé des filles de Jacob. On a feint de s’étonner qu’un