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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/660

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Roubaix est en pleine renaissance. Ce ne sont pas seulement des bruits d’usines qui nous en avertissent ; c’est aussi la défiance et l’hostilité qu’on y sent entre les classes.


M. Lyon, recteur de Lille, m’offre de les accompagner, sa femme et lui, dans leur visite à Armentières et à Bailleul. On sait que M. Lyon, pendant toute l’occupation, a fait vivre son Université et, appuyé sur le dévouement de son personnel, en a maintenu les cours et soutenu la résistance. Ses souvenirs formeront un jour le document le plus curieux sur l’histoire de ces années funestes. On y verra, entre autres anecdotes, qu’aux heures les plus noires, les parents des élèves du lycée, ayant entendu dire qu’il n’y aurait point de baccalauréat, vinrent le supplier de ne pas ajouter cette infortune à tant de misères, ils avaient besoin que tout ce qui représentait la tradition française continuât. On fit donc des bacheliers sous la domination allemande ; et, pendant qu’on les préparait à leurs redoutables épreuves, Mme Lyon. donnait aux jeunes filles Lilloises des leçons d’anglais, afin qu’elles pussent saluer dans leur langue les soldats britanniques, le jour de la délivrance. Le hasard fait mal les choses. La bombe d’un aviateur anglais tomba sur l’Académie, qui n’en est pas encore remise ; et il s’en fallut de peu que le Recteur et sa femme ne fussent écrasés. Or ce palais a reçu jadis la visite de Louis XVIII en route pour Gand ; et, dans son antichambre, une gravure représentait les adieux du Roi. Les Allemands l’avaient vue. Aussitôt ils publièrent dans leurs journaux la reproduction de ce « monument historique » que le vandalisme de l’Angleterre avait ébréché, avec ces mots : Le Crime anglais. Ah ! les Boches !

Pour aller de Lille à Armentières, il semble à peine que l’on quitte la ville. Les routes sont des rues. Tout ce monotone pays du Nord est comme une immense ville qui déroulerait ses tentacules à travers la campagne. Armentières, vieille cité industrielle plus exposée dans sa plaine découverte, éternel champ de bataille, que si elle s’élevait au pied d’un volcan, a été plusieurs fois ruinée et incendiée, toujours rebâtie et toujours neuve ; mais je doute qu’elle ait jamais présenté un aussi effroyable spectacle qu’aujourd’hui. Ses rues se ressemblent comme des têtes de mort. On s’égare entre ces rangées de