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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/661

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squelettes en brique qui ouvrent sur vous leurs orbites noires et vides. Au pied d’une église écroulée, dans un baraquement, le maire est en conférence avec l’architecte départemental. Il s’est promis de refaire sa ville plus belle qu’elle n’était. « Dans cinq ans, nous dit-il, elle aura repris figure ; dans dix ans, elle sera terminée. » Le travail est énorme : l’entrepreneur lui demande sept ou huit mois rien que pour déblayer les ruines de l’église. Mais à la fin d’août la première usine a lancé son premier coup de sirène. Le tiers des trente mille habitants est déjà revenu. On ne le croirait point. Dans les villes les plus mortes, la présence de l’homme transpire à travers les murs silencieux. On ne le voit pas ; mais tout ce qui le dissimule le dénonce. Ici, rien ne le cache, les fenêtres béantes, les murailles éventrées permettent de plonger le regard jusqu’au fond des demeures. Pourtant il ne semble pas exister. L’inhumanité de cette destruction empêche qu’on l’a perçoive. Alors même qu’il est là, elle proclame son absence.

L’automobile a du mal à trouver le collège. Au premier étage le principal campe avec sa famille. Jeune, actif, débrouillard, choisi spécialement par M. Lyon pour ce poste difficile, il me rappelle, autant par son visage rasé que par ses manières et sa décision, les pionniers américains constructeurs de villes dans le désert. Mais les pionniers américains, plus favorisés que les gens d’Armentières, n’ont point à abattre avant de construire. Debout dès cinq heures du matin, le principal du collège d’Armentières prépare le café de ses ouvriers, il les soigne comme s’ils étaient ses élèves ; et il reçoit les parents au milieu des briques et du plâtras. Il a déjà sept ou huit pensionnaires inscrits, mais pas de dortoir. On s’oriente si malaisément dans la dévastation que je ne revois plus très bien où il les couchera. Ce ne sera certainement pas dans le cabinet de physique, monceau de débris où scintillent des morceaux d’éprouvettes. Ce sera plutôt dans une pièce du rez-de-chaussée. Oui ; mais ici mes souvenirs s’embrouillent, à moins que le réfectoire ne soit dans ce dortoir et la cuisine dans ce réfectoire. Soyez tranquille : on les couchera ; on les nourrira, et on leur trouvera des classes. J’oubliais que le principal doit aussi assurer le couvert à huit cents élèves des écoles primaires. Il le leur assurera. Enfin il loge provisoirement la directrice du collège de filles. Elle vivait depuis un an dans la jolie ville