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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/666

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secourir notre pauvre Nord, qui ne savent où porter leurs libéralités ! Ne pensez-vous pas qu’elles en feraient un bon emploi, moralement et socialement, si elles fournissaient à ces ensevelies des carreaux, des cartons, des fuseaux et du fil ? Peut-être reverrions-nous l’âge fortuné de la dentelle. Figurez-vous que vers 1830 la dentelle était si rémunératrice que les ouvrières disaient en riant aux ouvriers des filatures : « Viens me ramasser mes épingles et je te paierai ta journée. » C’est du moins ce que me racontait notre député M. Delory, qui descend d’une vieille famille d’artistes dentellières et qui se rappelle encore avoir dans son enfance embrouillé savamment les fils à dentelles le soir près de ses grands-parents. »

Je crois qu’il faut renoncer à l’espoir que les dentellières proposent jamais à leurs camarades des filatures de leur payer leur journée : elles ne redeviendront plus si grandes dames. Mais, puisque nous en sommes au chapitre des souvenirs, je citerai le rapport rédigé, le 18 Germinal de l’an 9, par le préfet Dieudonné et qui, moins le style, me semble de circonstance. « La paix, disait-il, va rétablir toutes les communications et appeler les étrangers… Nos guerriers ont fait admirer leurs exploits ; nos fabricants présenteront aux étrangers de nouveaux objets d’admiration. Valenciennes est renommée pour ses dentelles… » Le maire de Valenciennes lui répondit que l’industrie était ruinée. Le 10 Floréal, Dieudonné lui écrivait : « Je n’ai pu apprendre sans affliction, citoyen maire, l’état de langueur et de dépérissement dans lequel se trouvait la fabrication des dentelles… Le moyen de lui rendre son ancienne splendeur est de former des ouvrières nouvelles qui puissent marcher sur les traces de celles que le malheur a respectées et les surpasser, si possible. » Le Conseil de la ville lui soumit alors le projet « que le goût de la dentelle en fût stimulé par les premiers fonctionnaires de la République, qui dans les fêtes nationales et les cérémonies diplomatiques porteraient de la Valenciennes. » Mais Dieudonné objecta qu’il était impossible d’assujettir à cet usage les fonctionnaires publics[1]… Les dentellières de Bailleul ne sont pas aussi ambitieuses. Il ne s’agit point d’imposer aux premiers, fonctionnaires de la République des mouchoirs bordes de Pater, de Vierge ou d’Ave Maria.

  1. L’Industrie Dentellière en France. A. de Poncheville (Valenciennes, 1911).