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la commune… même après la conclusion de la paix, tant que durera l’occupation de Cambrai. »

J’ai entendu le maire de Douai. Il a dû lutter pendant quatre ans ; et je pensais en l’écoutant que souvent les maires restés dans leur mairie, pris entre les exigences brutales de l’envahisseur et les irritations ombrageuses de leurs administrés, ont été réduits à envier le sort de leurs collègues déportés en Allemagne. L’un d’eux, que j’ai rencontré depuis, me disait : « Savez-vous quelle était ma prière au moins un soir sur deux ? Seigneur, c’est trop dur d’avoir à discuter avec ces brutes : donnez-moi pour me soulager la palme du martyre. Il est vrai que je n’avais qu’un mot à prononcer, un geste à ébaucher, pour l’obtenir de la Kommandantur. Mais, chaque fois que j’étais sur le point d’ébaucher le geste ou de prononcer le mot, je songeais à la tête que ferait mon premier adjoint, et je restais. Aussi vous me voyez sans palme. »

Ce qu’a été l’évacuation, Mgr Chollet nous le dira encore : une population jetée la nuit hors de la ville, obligée de trainer sur des brouettes ou de porter sur le dos le mince bagage des objets les plus indispensables ou les plus chers, et derrière elle soldats et officiers entrant dans les maisons, pillant, saccageant et brûlant. « Bientôt les voitures qu’on a refusées aux personnes arrivent par douzaines pour être chargées des meubles abandonnés que des trains entiers emmèneront en Allemagne. Je ne raconte ici que ce que j’ai vu de mes yeux. » À Cambrai, les habitants refusaient de partir. Ils avaient leurs caves. Des carrières s’étendent sous leurs places et leurs jardins, où plus d’une fois, au cours des anciennes guerres, leurs pères ont caché leurs trésors et abrité leurs familles. Mais les Allemands ne voulaient aucun témoin de leurs pillages et de leurs incendies. Un seul homme demeura, un prêtre, le curé de Saint-Druon, M. l’abbé Thuliez, qui soignait quelques moribonds. Ils le prirent, le menacèrent de le fusiller. Cependant il resta, et il eut la joie de recevoir les Anglais.

Ce que les malheureuses populations ont trouvé à leur retour, nous le voyons comme si c’était hier : rien n’a changé. ! À Douai, ils n’ont pas incendié l’Hôtel de Ville, — où se trouve une salle que venait de refaire si artistement Max Doumic, — ni abattu son beffroi gothique si fantasque avec ses quatre tourelles, sa tour, ses coupoles et ses petites fenêtres