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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/672

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monte par un étroit escalier dont les murs suintent et je me trouve dans la chambre du proviseur, la seule pièce de l’établissement où il ne pleuve pas. Un lit, une table en bois blanc, trois chaises et du feu dans la cheminée pour chasser l ‘humidité envahissante. À deux pas de cette chambre, c’est l’hôpital des soldats allemands, qui sont plus au sec que leurs infirmières françaises, car l’une d’elles me montre son lit que les averses de la nuit ont trempé. Le général avait décidé qu’on transporterait les malades ailleurs. On n’en a rien fait. La moitié de la toiture d’une aile a été réparée. Mais on a interrompu le travail si bien que la pluie tombe sur le plancher tout neuf du grenier qui ne tardera pas à pourrir. Jamais encore je n’avais mieux senti cette absence d’unité dans les Services, que tous nos sinistrés déplorent »

Mais je ne voudrais pas terminer cette première et brève excursion aux pays dévastés sur une note trop sombre. Le voyageur est toujours plus affecté du mal qui lui saute aux yeux que du bien, d’ordinaire moins voyant et plus silencieux. La situation matérielle de ces provinces est affreuse. Heureux si dans un demi-siècle leurs plaies sont entièrement cicatrisées. Et encore ne les reverrons-nous jamais telles que les siècles les avaient parées. Aucun soleil, aucun rayon de lune n’éclairera plus jamais tant d’Hôtels de Ville, de beffrois, d’églises, de vieux logis, où il semblait toujours que des visages de l’ancien temps allaient se montrer aux fenêtres gothiques. Mais le spectacle qu’elles offrent et dont le cœur est navré n’est pas désespérant. Les pins qui poussent sur les rocs nus de la Baltique sont moins tenaces que la plante humaine qui s’accroche aux ruines. On n’a presque nulle part le sentiment de l’irrémédiable, et l’on trouve presque partout l’énergie et l’espoir. On voudrait seulement que tous les efforts fussent mieux coordonnés et qu’à côté de ceux qui travaillent, les autres se souvinssent de temps en temps que, jusqu’à nouvel ordre, c’est la France qui paie.


ANDRÉ BELLESSORT.