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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/675

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la machine des destinées. Il y avait là un mystère qui ne pouvait manquer d’intriguer les esprits. Et nous comprenons facilement qu’un livre destiné à éclaircir cette énigme devait offrir au public allemand un attrait tout particulier, comme nous avions nous-mêmes, nous autres étrangers, de quoi nous intéresser au héros d’un drame politique qui a eu de si graves répercussions sur l’avenir du monde.

On s’explique donc sans peine le succès de librairie qui vient d’accueillir, dans toute l’Allemagne, la publication d’une Vie de l’archiduc François-Ferdinand, qui a paru récemment dans une collection de mémoires. Malheureusement, ce « document d’histoire contemporaine » ne laisse pas de présenter plusieurs défauts considérables. Je passe sur l’anonymat, qui est souvent un moyen de piquer la curiosité, et je laisse volontiers aux initiés viennois le facile plaisir de deviner l’auteur. Mais un second défaut, comme l’indique ce mot de « roman » si étrangement introduit dans le titre, d’un ouvrage historique, c’est d’être, non un écrit original, mais un « arrangement. » Le livre nous est donné comme un extrait des notes et impressions d’un homme qu’on ne nous désigne pas, et qui fut un des familiers du défunt archiduc, après avoir été deux ou trois ans son précepteur. Il est évident au surplus que l’ouvrage, dans sa forme présente, a été composé après les événements qu’il raconte. Il s’ensuit que ce récit des faits et gestes de l’héritier présomptif, d’après les souvenirs d’un témoin de sa vie, perd à nos yeux beaucoup du prix qu’il aurait, si nous avions affaire à ce témoin lui-même. L’auteur ne parait pas se douter que le premier mérite d’un ouvrage de ce genre et la condition du plaisir qu’on y prend, est la garantie qu’il nous offre de son authenticité. Mais on sait que les Allemands n’ont pas à ce sujet les mêmes exigences que nous. Une biographie anecdotique, présentée sous forme de souvenirs, et où l’on retrouve l’écho des impressions de l’entourage de François-Ferdinand, voilà ce qu’est au juste l’ouvrage que je résume ; et ce qu’il a de conforme aux traditions littéraires de son pays d’origine, suffit à expliquer, en dehors de l’attrait du sujet, la vogue dont il a joui dans toute l’Allemagne.

A cet égard, ce petit livre, avec ses photographies des principaux personnages, peut intéresser même le lecteur étranger. Il va sans dire qu’il ne faut pas en attendre une vérité complète,