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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/676

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ni même, la plupart du temps, une vérité bien inédite. L’auteur n’a pas fait la lumière sur les côtés plus que suspects de l’attentat de Serajevo. C’est un bon patriote allemand, naïf, totalement dénué de critique, croyant tout ce qu’on lui raconte. Il semble n’avoir jamais eu avec le héros de son livre que des rapports d’ordre subalterne. Cet ancien préfet des études du Theresianum, le fameux « gymnase » fréquenté par l’aristocratie de la double monarchie, est surtout un brave homme, instruit, passionné pour le bien de son pays, — du bois, en un mot, dont on fait les bons précepteurs. Le bonhomme paraît bien incapable d’avoir pris aucun ascendant sur son impérial élève. Le fait d’avoir été choisi par l’aumônier de la famille pour compléter in extremis l’éducation fort négligée d’un prince de vingt-six ans, appelé inopinément à succéder à la couronne, a été manifestement la grande aventure de sa vie. Nous voyons que le prince a toujours conservé quelques relations avec son ancien précepteur, devenu, pour ainsi dire, un officieux de la maison. Il se sert de lui, de loin en loin, pour être son intermédiaire dans certaines circonstances, pour l’aider, par exemple, à se débarrasser d’une « petite amie » devenue encombrante, ou pour communiquer avec la presse ou avec certains groupes politiques. Son Altesse pousse la bonté jusqu’à lui faire la grâce de venir, en vingt-cinq ans, jusqu’à deux fois chez lui, et même d’accepter une collation des mains de sa femme qui s’entend comme personne à faire « un bon café. » Il faut voir, après cela, l’importance que revêt dans sa propre estime l’excellent Herr Professor, et quelle mine d’oracle il se donne, le soir, « dans le lit conjugal, » lorsque « son Anna », par mille caresses, cherche à se faire confier, la tête sur l’oreiller, ce qu’avait donc le Prince à dire de si secret !

Je cite ce trait, entre vingt autres, pour montrer le ton de l’ouvrage, la nature de l’auteur et celle de ses souvenirs. Évidemment, c’est un Allemand de la classe moyenne, pareil à des millions d’autres petits bourgeois et qui n’a sur chaque sujet que les idées de tout le monde. En dehors de ses relations personnelles avec l’archiduc, il n’a aucune sorte de situation ni d’influence. Il ne fait pas partie de la haute société, où il n’a ses entrées que par la petite porte et par un escalier de service. Il n’est, comme disent les Anglais, que the man in the street, le badaud de la rue, avec la passion nationale des « potins », et