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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/693

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parait comme un peu habillée, un peu arrangée, prête à monter sur la pendule, en tout cas telle que nous ne l’avons pas rencontrée, fût-ce en nos voyages. Les agneaux de Jules Renard, vous les verrez à la bergerie, dans nos campagnes, quand il vous plaira ; et tous les animaux de Jules Renard, vous les avez vus et les reconnaissez : pourtant vous n’aviez pas remarqué leur aspect véritable, qu’il semble avoir aperçu le premier, qu’il sait vous montrer, qui vous étonne et vous amuse par sa vérité familière ensemble et pittoresque.

Plusieurs « histoires naturelles » ont passé des Cloportes aux recueils que Jules Renard donna ensuite. Et ce roman de sa jeunesse, qu’il avait refusé de publier, lui a servi comme un trésor dont il n’approuvait pas l’arrangement, dont les pièces lui paraissaient précieuses. On retrouve des pages entières ou des phrases plus ou moins longues, des mots, des images des Cloportes dans les Sourires pincés, dans l’Ecornifleur, dans Poil de carotte, dans la Lanterne sourde et jusque dans cette comédie de La bigotte qui a été jouée quelques mois avant la mort de l’auteur. Au bout de vingt ans, il n’avait pas oublié ni relégué loin de sa nouvelle pensée l’œuvre de ses vingt ans : il y allait puiser comme dans une réserve abondante. Maintes pages qu’il a ainsi transportées de l’ancien manuscrit au livre nouveau sont à peine modifiées. Plus souvent, il corrige et il abrège : il écrit de mieux en mieux ; il est plus adroit, plus sévère à lui : même, plus attentif à bien choisir les mots et à suivre exactement le précepte qu’il donnait un jour aux élèves du lycée de Nevers, « jeunes camarades » et, lui, qui présidait la distribution des prix : « Défiez-vous des mots. Les plus grands ne sont pas les moins vides. Ne vous en servez qu’après les avoir pesés. » Cette défiance est l’article premier de l’art auquel il consacrait un zèle délicat. Les mots qui ne sont pas tout pleins d’une réalité, les mots inutiles, les mots trompeurs, il les supprimait de sa phrase. Et la difficulté de composer une phrase entière, du commencement à la tin, sans mots de secours, est la difficulté qu’il entendait vaincre à chaque fois qu’il écrivait. Une phrase qui, comme on dit, se tienne et qui se tienne toute seule, qui marche et sans béquilles, une phrase parfaitement saine, valide et bien portante, ce fut la sienne et ce n’est pas celle des écrivains les plus nombreux. Il la voulait jolie, en outre, élégante : il lui voulait une beauté qui ne vînt pas de faux ornements, une beauté vraie.

Il y a, dans les Cloportes, ce petit tableau à la Breughel : « Un gamin pétrissait entre ses mains une grosse boule de neige ; la posait délicatement sur une couche bien unie, sans ornières ou marques de