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s’éliminer à la lecture du titre de cette aquarelle, qui les exclut d’une souscription collective et les rejette au second plan, avec la ménine, le bouffon, le chien, le gamin courant dans la pénombre d’or, parmi les accessoires du double portrait, qui est l’unique objet de cette grande œuvre.

Il reste à comprendre le jeu des valeurs et à suivre attentivement la prestigieuse adresse picturale, qui ordonna la répartition des touches de lumière, parmi cette ambiance assourdie, où dansent des paillettes d’or. Certainement, l’œuvre a passé par cet état de camaïeu roux de ses préparations picturales, que tous les artistes pratiquaient, alors, dans la recherche de l’expression par l’économie des valeurs. Rubens et van Dyck ont laissé, comme lui, des préparations fort instructives de cette sorte, qui initieraient le praticien moderne, si la belle peinture était encore le but de l’exécution d’un tableau. Et c’est sur cet état de sa toile qui l’apparentait à une immense gravure, où tout s’exprime par les valeurs, que Rembrandt a créé l’irradiation de la lumière par des rapprochements audacieux, ou subtilement délicats de tons, par ces « passages » en glacis du vert au roux, qui se prolongent en poudroiement d’or sur les trouées massives de l’ombre, comme dans les plis craquants du satin de la manche de van Kamboort, et surtout dans le collet resplendissant de la ménine, dont le vert s’atténue dans les soieries du porte-étendard, comme si cette onde d’un même rayon se fût refroidie dans la traversée de la pénombre de la bannière. Le grand cerné d’ombre, que Rembrandt introduit toujours au bord des lumières et qui ourle si puissamment la verticale, presque rigide, de la silhouette en lumière du lieutenant [1], se reproduit encore en sabrant la robe, le coq et le bas du collet de la ménine lumineuse. Mais, comme il doit la maintenir au second plan, c’est au rouge rompu que Rembrandt demande l’appui de cette grande masse claire, et ce rouge flue sur la gauche dans les poudroiements de l’ombre ardente, tandis qu’à droite, le même ton, plus actif et plus soutenu, accompagne et projette en lumière l’autre silhouette du lieutenant.

Il y aurait tout un cours à faire, rien que sur ces détails d’exécution, qui constituent l’armature puissante des grands

  1. Cette verticale était de rigueur dans toute composition classique parce qu’elle établit les aplombs d’un tableau.