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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/901

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encore que l’exécution du portrait de van Ruytenburg. Car il n’existait pas de noir séchant normalement dans les huiles de cette époque, et le technicien merveilleux qui seconda l’artiste dans la réalisation picturale de ces pâtes puissantes, chauffées de soleil, est aussi digne d’admiration que le penseur qui conçut les Pèlerins d’Emmaüs. Son secret doit être cherché dans cette dissolution de l’ambre à froid, qu’Anton van Dyck enviait à Rubens, qui ne le transmit à aucun élève. Tout grand praticien avait ses secrets dont bénéficiait, chez lui, l’apprenti ; mais les compagnons l’ignoraient et se composaient un métier à eux, en abandonnant l’atelier du maître.

L’écharpe amarante brodée d’or et le beau col en point d’Angleterre qui retombe sur le hausse-col, à peine apparent, forment, avec la manchette de linon et la lumière de la main, les seuls points de clarté qui permettaient à l’artiste de projeter en avant cette masse sombre évoluant sous le soleil. Or, la difficulté technique semblait irréalisable, et l’on s’en aperçoit dans les meilleures copies, qui n’ont pas évité cet écueil.

C’est le cas de rappeler, ici, qu’on a dit que Franz Banning Cocq, mécontent de ce grand portrait, s’était aussitôt adressé à Van der Heltz pour une autre effigie qui serait, seule, véridique. Mais ce n’est que douze ans plus tard, en 1654, que le colonel honoraire de la milice et le bourgmestre qu’il était devenu, consentit à poser devant cet artiste, avec les trois autres syndics de la confrérie de Saint-Sébastien pour cette esquisse, si précieuse, que possède notre Louvre et pour le grand tableau du Rijksmuseum. Or, malgré l’écart des deux dates, il est facile de s’assurer de la rigoureuse identité des deux visages ; un peu plus affinés chez Van der Heltz, parce que la maladie qui devait l’emporter, le 1er janvier 1655, est nettement visible dans l’attitude lassée du bourgmestre, les traits du géant blond sont d’autant plus faciles à contrôler, que le port de tête est le même et s’inscrit, aussi de trois quarts, dans le tableau de Van der Heltz.

La légende, on le voit, est active et ne dédaigne aucun moyen. Mais les faits sont plus éloquents et la démentent, une fois de plus, pour la justification de l’artiste. Quant au déplaisir du capitaine, il est controuvé par l’aquarelle de son album, dont il n’aurait pas donné la commande si le tableau lui rappelait une déception ; le mécontentement des soldats semble