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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/911

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Aucune formule de déférence, ni salutations. C’est la lettre d’un « pur, » qui a renoncé à toutes les élégances mondaines d’autrefois et qui vit en marge de la société, dans un petit groupe d’amis de choix, en doctrinaire évangélique, mais qui sait la valeur de ses œuvres et les juge, en dehors de lui.

Cependant Antonio Ruffo faisait observer qu’il consentait à lui payer le quadruple du prix demandé par les premiers artistes d’Italie dont les toiles comportant une seule tête, se payaient 25 écus, celle en demi-figure 50 écus, avec le maximum de 100 écus pour un grand nu, en figure entière. Et c’était exact. Il avait payé une Agar et son fils dans le désert, dans un cadre sculpté, entièrement de la main du Guerchin, 130 écus, ce qui établit l’échelle des prix payés à Rembrandt, très au-dessus des proportions susdites.

Or, ceci se passait en 1662, à la fin de l’année, alors que le Conseil des Echevins d’Amsterdam refusait à l’artiste le paiement de son travail pour l’achèvement du grand tableau de son élève Govaert Flinck, commandé pour la décoration du Stadhuis. Sollicité par la veuve du jeune peintre, Rembrandt avait accepté de terminer sa Conjuration de Claudius Civilis, dont un fragment est conservé au Musée de Stockholm.

On lui avait promis une certaine somme, mentionnée dans un acte de notaire ; il avait fait les frais de cette exécution et de la mise en place de la vaste toile à l’Hôtel de Ville, où elle demeura dix-huit mois. Mais la cabale de ses ennemis la faisait refuser, sans compensation, ni pour Rembrandt, ni pour la veuve de Govaert Flinck, qui s’était adressée à cet hérésiarque en peinture, à cet hérétique en religion dont on ne voulait pas entendre parler au Stadhuis !

La légende de Rembrandt, on le voit, s’établissait déjà de son vivant entre les dires de ces puissants du jour qui l’exécraient, après s’être enrichis de ses dépouilles, et l’opinion des gens compétents, des spéculatifs moins nombreux, qui l’isolaient de son milieu et le plaçaient au premier rang des penseurs et des grands maîtres de la peinture. Cependant qu’à l’étranger sa gloire rayonnait toujours plus loin et toujours plus vive, malgré l’effort des classiques coalisés, dont la société d’Amsterdam accueillait les travaux par réaction contre le génie impérieux du Maître.

Mais que reste-t-il de tout l’effort de ces Hauts Seigneurs,