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sinon la honte d’avoir méconnu et persécuté en Rembrandt, comme en Spinoza, la plus pure gloire de la Hollande et d’avoir calomnié l’homme pour justifier leur inique arrêt ? Le tout jeune philosophe s’était éloigné de ce milieu d’autocrates républicains, plus dangereux qu’un podestat d’Italie, et s’était fait oublier en taillant des verres d’optique à la Haye, tout en rédigeant ses immortels théorèmes de l’Éthique. Rembrandt, plus combatif, avait tenu tête à ses adversaires et, s’il avait passé la mer pour quelques mois, comme l’indiquerait sa Vue de Londres de 1661, il était revenu défendre l’avenir de ses enfants contre l’acharnement des pasteurs nationaux.

Il est si vrai que cette persécution n’eut d’autre cause qu’une dispute religieuse, qu’on rendit à Titus, son fils, une partie de son avoir, lorsqu’il eut fait profession de rentrer dans l’Eglise nationale et que Rembrandt y consentit. C’est ce qui expliquerait son inhumation à la Westerkerk, église orthodoxe, alors qu’il professait, depuis 1642, son attachement aux doctrines de Simon Menno. Il resterait à expliquer l’origine du conflit religieux qui souleva toutes ces Bibles dont il fut lapidé sournoisement.

N’en trouverait-on pas l’indice dans l’attitude et le type de ses Christs, dans sa recherche de cette grande Ombre qu’il évoque parmi les humbles et les miséreux, dans un rayonnement qui perce à jour l’inconsistance des doctrines des faux docteurs et silhouette leurs grimaces d’exégètes dans un trait caricatural ?

L’aventure du grand Arnaud est parallèle dans un autre milieu, mais à la même époque, et procède du même esprit, par les mêmes moyens. Mais pourquoi Spinoza n’écrivit-il pas des Provinciales ? Et quelles lueurs n’eût-il pas jetées sur ce drame mystérieux ?


ANDRÉ-CHARLES COPPIER.