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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/160

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des choses, la conscription alors se fit peu à peu locale. En Égypte, la réforme s’opéra de bonne heure : les recrues égyptiennes, dès le début de l’Empire, se rencontrent assez fréquemment dans les légions et aussi, par imitation, dans les troupes auxiliaires. Le soldat qui servait dans la vallée du Nil à un titre quelconque appartenait souvent au pays par sa naissance ; il y possédait souvent aussi quelque bien, dont il pouvait surveiller la gestion durant son temps de service.

Né dans la province, le légionnaire songeait tout naturellement à s’y marier ; mais, là, il se heurtait à une grosse difficulté. La loi romaine interdisait absolument aux militaires en activité de prendre femme, du moins pendant les premiers siècles de l’Empire : les règlements tenaient le mariage pour inconciliable avec une stricte discipline militaire, et l’introduction d’une femme dans la vie d’un soldat, avec toutes les charges qu’entraîne un ménage, pour incompatible avec la liberté d’allure nécessaire au service des camps. Nous avons vu ce principe établi dans plus d’une armée permanente moderne ; il n’y a pas bien longtemps qu’il en était ainsi en France. Les hommes des légions devant vingt ans de présence, les auxiliaires vingt-cinq, plus d’un même restant à la disposition de l’Empereur au-delà de ce terme, il leur eût fallu patienter bien longtemps pour fonder une famille. Ils avaient, il est vrai, la ressource d’unions passagères, où le plaisir trouve une satisfaction sans lendemain ; mais la plupart d’entre eux aspiraient à des unions durables qui, du consentement des deux conjoints, constituassent de véritables mariages, comportant pour l’avenir les conséquences sociales communes. Il arriva donc que la coutume corrigea les sévérités de la loi et que les soldats au service se marièrent, ou, du moins, qu’ils prirent femme ; seulement cette femme n’était point une épouse légitime, suivant le droit romain ; les enfants ne l’étaient pas davantage. Tout ce monde vivait à côté du droit, non sans trouver moyen d’y rentrer par des détours ; ainsi, il ne pouvait y avoir contrat entre les conjoints ; un acte de cette nature n’aurait présenté aucune valeur en justice : on imagina de laisser reconnaître à la future par le soldat à qui elle s’unissait un prêt fictif, un dépôt d’argent ou de meubles, voire de robes, de manteaux, de bijoux, comme fit, d’après un papyrus de Berlin, le fantassin apaménien Julius Apollinaris pour une