Page:Sand - Constance Verrier.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mense, et il ne te suffit pas ! Tu voudrais monter sur les planches, être applaudie, puis rentrer dans une jolie maison où tu n’aurais plus qu’à parler littérature ou philosophie avec de grands esprits, tout en respirant à l’ombre les parfums des louanges délicates et des roses-thé, jusqu’à la prochaine ovation. La brutalité de la misère te navre, et tu crains toujours de crotter le bord de ta jupe, comme si c’était une robe de satin. Souviens-toi que tu es née sous la bure et que tu as aujourd’hui des souliers, ce qui est une grande chose ! Tu oublies ce que tu devais être, pour ne te rappeler que ce que tu aurais pu être, si le vieux comte n’eût pas été lui-même un fourbe libertin. Eh bien ! prends garde à ces souvenirs-là ; ils mènent tout droit à la corruption, et ce ne serait pas la peine d’y avoir échappé dans un jour de bravoure, si ta mélancolie et tes songes devaient t’y conduire par le chemin de la mollesse et par le manque de caractère.

« Ardesi avait cent fois raison, mais je n’en étais pas moins dévorée d’un secret ennui. Au bout d’un an, la joie de mes débuts était oubliée, mes succès de petites villes ne me suffisaient plus ; j’aurais voulu briller à Venise, à Milan ou à Naples. Je le pouvais, car on m’offrait un engagement que je refusai ; il aurait fallu me séparer d’Ardesi, dont on ne voulait pas, et j’étais résolue à lui tout sacrifier.

« Un soir, comme nous finissions Don Juan, la trappe qui devait engloutir le pauvre artiste s’ouvrit