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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

verser le baume de l’union et de l’espérance. Accomplissez donc cette tâche sacrée, et sachez que vos frères ne sont pas les hommes du passé, mais ceux de l’avenir.

Vous avez eu un seul tort, en ces jours-ci, un tort grave, à mes yeux, et je vous le dirai dans la sincérité de mon cœur, parce que je vous aime trop pour vous cacher une seule des pensées que vous m’inspirez. Vous avez cherché à vous éloigner de nous. Ce tort, nous l’avons eu à votre exemple et les deux familles, les enfants de la même mère, de la même idée, veux-je dire, se sont divisés sur le champ de bataille. Cette faute retardera la venue des temps annoncés. Elle est plus grave chez vous, qui êtes des envoyés de paix et d’amour, que chez nous, qui sommes des ministres de guerre, des glaives d’extermination.

Quant à moi, solitaire jeté dans la foule, sorte de rapsode, conservateur dévot des enthousiasmes du vieux Platon, adorateur silencieux des larmes du vieux Christ, admirateur indécis et stupéfait du grand Spinosa, sorte d’être souffrant et sans importance qu’on appelle un poète, incapable de formuler une conviction et de prouver, autrement que par des récits et des plaintes, le mal et le bien des choses humaines, je sens que je ne puis être ni soldat ni prêtre, ni maître ni disciple, ni prophète ni apôtre ; je serai pour tous un frère débile mais dévoué ; je ne sais rien, je ne puis rien enseigner ; je n’ai pas de force, je ne puis rien accomplir. Je puis chanter la guerre