Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/313

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Calamatta, qui s’était gardé extraordinairement jeune et actif à soixante-neuf ans, craignait aussi cela plus que la mort. Il a été, dans les derniers jours, menacé de paralysie. Si on lui eût donné à choisir, il eût choisi ce que la destinée lui a envoyé. Il a eu sa grandeur aussi, celui-là, par le respect et l’amour de l’art sérieux. Il avait à cet égard des convictions respectables par leur inflexibilité. Il ne comprenait la vie que sous un aspect, qui n’est peut-être pas la vie, et il la cherchait avec anxiété et entêtement, tout cela ennobli par la sincérité, le talent réel et la volonté, intéressant et irritant, sec et tendre, personnel et dévoué ; des contrastes qui s’expliquaient par un idéalisme incomplet et douloureux. Manque d’éducation première dans l’art comme dans la société ; un vrai produit de Rome, un descendant de ceux qui ne voyaient qu’eux dans l’univers et qui avaient raison à leur point de vue.

Moi, je voudrais mourir après quelques années où j’aurais eu le loisir d’écrire pour moi seule et quelques amis. Il me faudrait un éditeur qui me fît vingt mille livres de rente pour subvenir à toutes mes charges ; mais je ne saurai pas le trouver et je mourrai en tournant ma roue de pressoir. Je m’en console en me disant que ce que j’écrirais ne vaudrait peut-être pas la peine d’être écrit. C’est égal ; si vous me trouvez cet éditeur, pour l’année prochaine, prenez-le aux cheveux.

Vous tracez pour vous un idéal de bonheur que vous