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Page:Sand - Jean Ziska, 1867.djvu/10

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jean ziska.

avait à cœur de défendre l’honneur de l’Université, et de flétrir les doctrines impies de l’avocat sanguinaire. Il n’obtint pas justice ; et voulant assouvir son indignation sur quelqu’un, il s’acharna à la condamnation de Jean Huss, le docteur de l’Université de Prague, le théologien de la Bohême, le représentant des libertés religieuses que cette nation revendiquait depuis des siècles.

A coup sûr, ce fut une étrange manière de prouver l’horreur du sang répandu, que d’envoyer aux flammes un homme de bien pour une dissidence d’opinion[1] ; mais telle était la morale de ces temps ; et il faut bien, sans trop d’épouvante, contempler courageusement le spectacle des terribles maladies au milieu desquelles se développait la virilité de l’intelligence, retenue encore dans les liens d’une adolescence fougueuse et aveugle. Sans cela nous ne comprendrons rien à l’histoire, et dès la première page nous fermerons ce livre écrit avec du sang. Ainsi, mes chères lectrices, point de faiblesse, et acceptez bien ceci avant de regarder la sinistre figure de Jean Ziska : c’est qu’au quinzième siècle, pour ne parler que de celui-là, rois, papes, évêques et princes, peuple et soldats, barons et vilains, tous versaient le sang comme aujourd’hui nous versons l’encre. Les nations les plus civilisées de l’Europe offraient un vaste champ de carnage, et la vie d’un homme pesait si peu dans la main de son semblable, que ce n était pas la peine d’en parler.

Est-ce à dire que le sentiment du vrai, la notion du juste, fussent inconnus aux hommes de ce temps ? Hélas ! quand on regarde l’ensemble, on est prêt à dire que oui ; mais quand on examine mieux les détails, on retrouve

  1. Soit dégoût des affaires, soit remords de conscience, Jean Gerson alla finir ses jours dans un couvent où il écrivit l’Imitation de Jesus-Christ, et plus tard la défense de Jeanne d’Arc. Voyez à cet égard l’excellente Histoire de France de M. Henri Martin.