Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/33

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tumée, elle est comme désorientée et inquiète tout le reste du jour.

Dans les commencements, aussitôt que je le voyais entrer chez elle le matin, je me retirais par discrétion, d’autant plus que, de son côté, cet homme supérieur, excessivement modeste par conséquent, paraissait intimidé de ma présence. C’était me faire bien de l’honneur, à coup sûr ; mais au bout de trois ou quatre jours, il s’est rassuré au point de me demander avec douceur pourquoi il me mettait en fuite. Je ne me serais pas crue autorisée pour cela à gêner les épanchements du fils et de la mère ; mais celle-ci m’a priée de rester, et même elle a insisté et m’en a dit ensuite la raison avec sa franchise habituelle, et cette raison un peu singulière, la voici :

— Mon fils est d’un esprit mélancolique, m’a-t-elle dit ; ce n’est pas mon caractère à moi. Je suis très-abattue ou très-animée, jamais rêveuse, et la rêverie chez les autres m’irrite un peu. Chez mon fils, elle m’inquiète ou m’afflige. Je n’ai jamais pu en prendre mon parti. Quand nous sommes tête à tête, il me faut faire des efforts continuels pour qu’il ne retombe pas dans ses contemplations. Quand nous sommes entourés de quinze ou vingt personnes le soir, il en prend à son aise et se tient souvent à l’écart. Pour que je puisse jouir réellement de son esprit, ce qui est mon plus grand bonheur et mon unique plaisir, rien n’est si favorable que la présence d’un tiers, surtout si ce tiers est une personne de mérite. Le marquis se donne