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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/93

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choses… N’importe ! l’affaire est encore secrète, et vous ferez bien de n’en pas causer avant qu’elle éclate. Au revoir donc, et le grand Salomon soit avec vous ! La lune est levée ; prenez à droite, et puis à gauche, et puis tout droit jusqu’à la chaussée.

Il leur serra la main, et reprit le chemin de sa baraque. Mais les deux amis entendirent longtemps sa voix mâle et accentuée chanter, en se perdant peu à peu, ces derniers couplets d’une longue et naïve chanson dont il était l’auteur :


Jadis sur le beau tour de France
Je promenais mes pas errants.
Je n’allais point en diligence,
J’avais deux jambes et vingt ans.
J’avais alors bonne prestance,
Travail, amour, et l’âge heureux :
Je n’ai gardé que l’espérance,
Bon pied, bon œil et cœur joyeux.

Amis, sur ce beau tour de France
J’ai bien lassé mes pieds poudreux ;
Dans les chantiers de la Provence
J’ai fatigué mes bras nerveux ;
Dans les rêves de la science
J’ai consumé mon âge heureux :
Dans les bras de la Providence
Je repose mon cœur pieux.


— Digne et brave homme ! dit Pierre en s’arrêtant pour l’entendre encore. Amaury, Amaury, n’est-ce pas une belle chose que la chanson d’un homme de bien ? Cette voix mâle et forte qui remplit la campagne, jetant ses rimes sans art à tous les échos, n’est-elle pas comme l’hymne de triomphe de la conscience ? Tenez, nous voici sur la chaussée : cette belle voiture qui roule légèrement emporte-t-elle des cœurs aussi purs ? répand-elle des chants aussi suaves ? Non ! pas une voix humaine ne s’échappe