Aller au contenu

Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 2.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
3
DU TOUR DE FRANCE.

quand on cherche à reconnaître quelqu’un dans l’obscurité :

— Tenez, dit-elle en s’arrêtant, voici précisément la personne que vous désiriez de rencontrer. Je vous laisse ensemble.

Elle dégagea son bras, rendit à Pierre son salut silencieux, et voulut s’éloigner.

— Malgré tout le plaisir que j’éprouve à rencontrer maître Pierre, dit le commis-voyageur en se disposant à la suivre, je ne puis me résoudre à vous laisser retourner seule au château.

— Vous oubliez que je suis une campagnarde, répondit-elle, et que je suis habituée à me passer de chevalier. Je vais rejoindre mon père, qui doit avoir fini sa sieste. Au revoir.

Puis elle passa comme à dessein du côté opposé à Pierre, et fit quelques pas en courant ; mais bientôt, réprimant cet accès d’une vivacité qui ne lui était pas naturelle, elle s’éloigna d’un pas léger, mais égal et mesuré.

Pierre, tout bouleversé de cette double rencontre, suivait de l’ouïe le petit bruit du sable qu’elle faisait crier sous son pied, et n’entendait pas le préambule par lequel Achille Lefort venait d’entrer en matière. Quand il sortit de cette préoccupation, il reconnut que le bon jeune homme lui disait les choses les plus obligeantes du monde, et il se reprocha d’y répondre avec tant de froideur. Mais, malgré lui, en le voyant tomber encore une fois du ciel, et se présenter à ses regards au milieu d’un tête-à-tête animé avec Yseult, il se sentait pour lui moins de sympathie que jamais.

— Eh bien ! mon brave, lui disait Achille, est-ce que vous avez déjà oublié notre joyeuse rencontre au Berceau de la Sagesse ? C’est un bien digne homme que le père Vaudois ! plein d’intelligence, de patriotisme et de cou-