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DU TOUR DE FRANCE.

que je vous dis maintenant dans tout le calme de mon esprit et dans toute la liberté de ma conscience.

Pierre tomba à genoux et voulut répondre ; mais cet amour, si longtemps comprimé, eût éclaté avec trop de violence. Il n’avait pas d’expressions ; des torrents de larmes coulaient en silence sur ses joues.

— Pierre, lui dit-elle, vous n’avez donc pas la force de me dire un mot ? Voilà ce que je craignais ; vous n’avez pas de confiance : vous croyez que je fais un rêve, que je vous propose une chose impossible. Vous me remerciez à genoux, comme si c’était une grande action que je fais là de vous aimer. Eh ! mon Dieu, rien n’est plus simple ; et si vous me voyiez choisir un grand seigneur, c’est alors qu’il faudrait vous étonner et penser que j’ai perdu la raison. Songez donc que j’ai été nourrie de l’esprit qui m’anime aujourd’hui, depuis que j’ai commencé à respirer et à vivre ; songez que mes premières lectures, mes premières impressions, mes premières pensées m’ont portée à ce que je fais maintenant. Dès le jour où j’ai pu raisonner sur mon avenir, j’ai résolu d’épouser un homme du peuple afin d’être peuple, comme les esprits disposés au Christianisme se faisaient baptiser jadis afin de pouvoir se dire Chrétiens. J’ai rencontré en vous le seul homme juste que j’aie jamais rencontré, après mon grand-père ; j’ai découvert en vous non-seulement une sympathie complète avec mes idées et mes sentiments, mais encore une supériorité d’intelligence et de vertu, qui a porté la lumière dans mes bons instincts et l’enthousiasme dans mes convictions. Vous m’avez débarrassée de quelques erreurs ; vous m’avez guérie de plusieurs incertitudes : en un mot, vous m’avez enseigné la justice et vous m’avez donné la foi. Vous ne pouvez donc pas être étonné, à moins que vous ne me jugiez trop frivole et trop faible pour exécuter ce que j’ai conçu.