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LE COMPAGNON

Pierre était en proie à un véritable délire. Il la regardait et n’osait pas seulement poser ses lèvres sur le bout de sa ceinture, tant elle lui apparaissait grandie et sanctifiée par la foi.

— Je vois que vous ne pouvez parler, lui dit-elle. Je vais trouver mon père. Si vous n’y consentez pas, faites seulement un signe, un geste, et j’attendrai que vous ayez changé d’avis.

Pierre prit, avec une sorte d’égarement, le poignard qu’Yseult avait voulu lui donner le jour du départ d’Achille Lefort, et qui se trouvait là sur la table.

— Que voulez-vous donc faire ? lui dit-elle en le lui arrachant des mains.

— Me tuer, répondit-il d’une voix étouffée ; car c’est un rêve, et je voudrais me réveiller dans une autre vie.

— Je vois que vous m’aimez, dit Yseult en souriant ; car vous ne craignez plus de toucher à cette arme qui coupe l’amitié.

— Elle pourrait bien couper mon cœur par morceaux, répondit Pierre ; elle n’en ôterait pas l’amour que j’ai pour vous.

— S’il en est ainsi, dit Yseult animée d’une joie sainte et les joues couvertes d’une pudique rougeur, comme je ne connais qu’une manière de vouloir les choses, qui est de les mettre tout de suite à exécution, je vais trouver mon père et lui parler de vous. À demain, Pierre, car ceci est une affaire sérieuse, et peut-être mon père voudra-t-il prendre la nuit pour y réfléchir.

— Demain, demain ? s’écria Pierre tout effrayé. Est-ce que demain viendra jamais ? Comment porterai-je jusqu’à demain cette joie et cette épouvante ? Non, non, ne parlez pas encore à votre père ; laissez-moi vivre jusqu’à demain avec la seule pensée de votre bonté pour moi (Pierre n’osait dire de votre amour). Je ne comprends pas encore