Aller au contenu

Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

point une raison pour me cacher vos sentiments. Vous aimez Brulette, et vous craignez…

— J’aime beaucoup Brulette, c’est vrai ; mais sans soupirs d’amour, et sans regret ni souci de ce qu’elle pense à l’heure qu’il est. Je n’ai point d’amour dans le cœur, puisque ça ne me servirait de rien.

— Ah ! vous êtes bien heureux, Tiennet, s’écria-t-elle, de gouverner comme ça votre idée par la raison !

— Je vaudrais mieux, Thérence, si, comme vous, je la gouvernais par le cœur. Oui, oui, je vous devine et vous connais, allez ! car je vous regarde et je trouve bien le fin mot de votre conduite. Je vois, depuis huit jours, comme vous savez vous mettre à l’écart pour la guérison de Joseph, et comme vous le soignez secrètement, sans qu’il y voie paraître le bout de vos mains. Vous le voulez heureux, et vous n’avez point menti en nous disant, à Brulette et à moi, que pourvu qu’on fît du bien à ce qu’on aime, on n’avait pas besoin d’y trouver son profit. C’est bien comme ça que vous êtes, et malgré que la jalousie vous tourne quelquefois un peu le sang, vous en revenez tout de suite, et si saintement, que c’est merveille de voir la force et la bonté que vous avez ! Convenez donc que si l’un de nous doit faire estime de l’autre, c’est moi de vous, et non pas vous de moi. Je suis un garçon assez raisonnable, voilà tout, et vous êtes une fille d’un grand cœur et d’une rude gouverne d’elle-même.

— Merci pour le bien que vous pensez de moi, répondit Thérence ; mais peut-être que je n’y ai pas tant de mérite que vous croyez, mon brave garçon. Vous voulez me voir amoureuse de Joseph ; cela n’est point ! Aussi vrai que Dieu est mon juge, je n’ai jamais pensé à être sa femme, et l’attache que j’ai pour lui serait plutôt celle d’une sœur ou d’une mère.

— Oh ! pour cela, je ne suis pas bien sûr que vous ne vous trompiez pas sur vous-même, Thérence ! votre naturel est emporté !