Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/428

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de ses ennemis en ne ressentant aucune frayeur du voisinage des morts.

Enfin, un autre homme, qui était collé contre la porte, en dedans, et que je n’avais pu voir à cause d’un gros buis qui me le masquait, passa vivement sa tête par-dessus le petit mur comme pour surprendre Joseph, qui ne bougea point et qui lui dit en riant : — Eh bien, père Carnat, vous êtes en retard, et, pour un peu, je me serais endormi à vous attendre. M’ouvrirez-vous la porte, ou dois-je entrer dans le jardin aux orties, par la brèche ?

— Non, dit le vieux Carnat. Cela fâcherait le curé, et il ne faut point braver ouvertement les gens d’église. Je vais à toi.

Il enjamba par-dessus le mur, et dit à Joseph qu’il se fallait laisser couvrir la tête et les bras d’un sac très-épais, et marcher sans résistance.

— Faites, dit Joseph, d’un ton de moquerie et quasi de mépris.

Je les suivis de l’œil par-dessus le muret et les vis rentrer dans la rouette aux Anglais. Je coupai droit jusqu’au talus où étaient cachés mes jeunes gens ; mais je n’en trouvai plus que quatre. Le plus jeune avait déguerpi tout doucement sans rien dire, et je n’étais pas sans crainte que les autres n’en fissent autant, car ils avaient trouvé le temps long, et ils me dirent avoir entendu, en ce lieu, des bruits singuliers qui leur semblaient venir de dessous terre.

Nous vîmes bientôt arriver Joseph, marchant sans y voir, et conduit par Carnat. Ils venaient sur nous, mais quittèrent le sentier à une vingtaine de pas. Carnat fit descendre Joseph jusqu’au bord du fossé, et nous pensâmes qu’il l’y voulait faire noyer. Aussi étions-nous déjà sur nos jambes, et prêts à empêcher cette traîtrise, lorsque nous vîmes que tous deux entraient dans l’eau, qui n’était point creuse en cet endroit, et gagnaient une arcade basse, au pied de la grande muraille du château,