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Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/152

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les sept cordes de la lyre

albertus. N’est-ce pas vous qui m’avez engagé à détruire les cordes qui eussent pu, par leur mélodie, élever et embraser mon âme ? Il vous sied bien de me reprocher l’effet de vos conseils !

méphistophélès. Vous me remercierez de mes conseils quand vous aurez accompli votre tâche, c’est-à-dire quand vous aurez fait de la lyre un instrument monocorde. Concevez encore ceci sous la forme symbolique. Pour élever votre âme vers l’idéal comme vous êtes parvenu à le faire, n’avez-vous pas, durant de longues années, travaillé à briser dans votre propre sein les fibres qui tressaillaient pour des joies terrestres ? N’avez-vous pas détruit tout ce qui eût pu vous distraire de votre but, et n’avez-vous pas concentré toutes vos pensées, tous vos sentiments, tous vos instincts sur un seul objet ?

albertus. C’est vrai, mais ici je travaille dans le sens inverse. J’ai commencé par détruire dans la lyre la poésie de l’infini, et je suis arrivé à la poésie des choses terrestres, tandis que, dans mon travail philosophique sur moi-même, j’ai procédé au rebours.

méphistophélès. C’est un tort que vous avez eu. Ce qu’on étouffe avant qu’il soit né n’est jamais bien mort. Les besoins refoulés avant leur développement redemandent la vie impérieusement. C’est ce qui vous est arrivé. Votre vertu vous rendait l’homme le plus malheureux du monde, et, à l’heure qu’il est, en prêchant tous les jours la certitude, vous ne la possédez sur aucun point.

albertus, à part. Je suis épouvanté de voir cet homme lire en moi de la sorte !

méphistophélès. Si VOUS en restez là, vous êtes perdu, mon bon ami. Il faut que vous retourniez à