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le dieu inconnu

l’autel, elle distingua le cénotaphe, couvert d’un linceul aux taches livides, elle recula épouvantée, en disant :

— Tu prétends que vous ne tuez pas, que vous ne tourmentez pas, et pourtant voici du sang et un cercueil ?

— Ma fille, répondit le prêtre, c’est le sang de nos frères que vos frères ont tué.

La femme païenne sembla se tranquilliser, puis aussitôt elle fut saisie de tristesse.

— Nos dieux ne sont pas aussi cruels que nous, dit-elle ; ils ne sont pas comme les dieux de la Gaule et de la Germanie, qui demandent des sacrifices humains ; ils se contentent d’hécatombes de troupeaux, et le premier-né d’une génisse est plus agréable au dieu Mars lui-même que le sang versé dans les combats. Crois-moi, pontife du Dieu Christ, nos dieux sont doux et indulgents ; ils nous portent plutôt au plaisir qu’à la fureur, et même il faut qu’ils soient bien endormis, et que la blonde Hébé leur ait versé de l’eau du fleuve Léthé au lieu d’ambroisie, car ils nous abandonnent et ne semblent plus présider à nos destins en aucune manière. Quand les hommes sont quittés par les dieux, ils deviennent semblables aux barbares du Nord. Pour moi, je n’ai pas cessé de les servir comme je le devais. J’ai surtout invoqué les déesses, et j’ai cherché à me les rendre propices par des offrandes dignes de mon rang et de ma fortune, car je suis riche et patricienne, et l’on me nomme Léa.

— Vous êtes cette femme célèbre par son luxe et sa beauté, et vous venez ici braver la persécution et la mort ! Il faut que vous ayez senti le vide et la souffrance des joies humaines.