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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/177

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sauvage, elle ne me tint d’abord que par la pitié ; mais elle m’occupait beaucoup. Sa frêle santé, son caractère ombrageux exigeaient une surveillance continuelle, et je me repentis d’avoir pris une charge qui absorbait tout mon temps et me rendait esclave d’un seul petit être médiocrement intéressant par lui-même.

« Au moment de la rendre à sa mère, pour qui j’aurais facilement obtenu une dispense de service jusqu’à nouvel ordre, je me sentis reprise de compassion. Misie ne savait soigner sa fille ni au physique ni au moral. Elle la faisait manger trop ou trop peu, elle la grondait et la gâtait sans discernement. Je la priai de ne s’en plus mêler. Conserver ce petit corps et cette petite âme, n’était-ce point aussi obligatoire que de préparer l’éducation de deux ou trois cents jeunes filles ? Le brin d’herbe est-il moins fécondé par la rosée du ciel que par la grande nappe de la prairie ? Et puis je devais peut-être accepter cette charge par la raison qu’elle me pesait. Je rêvais les grandes choses, et je dédaignais les petites ; ce n’était pas là le véritable esprit chrétien. Je redevins l’esclave de Lucette, et je fis de mon mieux.

« Durant l’hiver, elle resta chétive et maussade ; mais, quand les neiges commencèrent à fondre, quand le printemps verdit, ma pauvre petite commença à renaître. Un matin qu’elle jouait mélancoliquement à mes pieds dans le jardin, elle laissa tomber ses jouets, regarda longtemps un buisson où un oiseau avait commencé son nid, et, voyant la petite bête apporter et entrelacer adroitement un grand brin de paille, elle se mit tout à coup à sourire en silence. C’était, je crois, son premier sourire volontaire et spontané. Sa mère ne lui arrachait ces petites gracieusetés de la physionomie qu’à force d’obsessions. Ce que je vais vous dire vous paraîtra peut-être bien puéril, mais le muet sourire de Lucette à cet oiseau qui