Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/238

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et je pouvais répandre tout mon cœur, comme elle avait répandu le sien, dans le sein de ma mère adoptive. Bientôt celle-ci, en me répondant, m’envoya une nouvelle lettre de sa jeune amie à elle adressée, et ainsi nous pûmes échanger nos effusions comme si nous nous fussions parlé sans contrainte devant ma tante. L’adorable femme se prêtait à notre chaste roman avec une confiance juvénile, et comme elle avait raison ! J’étais dévoré d’impatience, mais je m’adressais à la femme la plus pure, placée sous l’aile de la femme la plus honnête et la plus loyale. Je ne pouvais frapper à la porte d’un tel sanctuaire qu’en surmontant mes agitations et en élevant ma pensée vers les plus nobles régions de l’amour. Cette correspondance dura deux semaines, pendant lesquelles il ne me fut pas permis de questionner pour m’enquérir des faits extérieurs. Ma tante disait : « Prends patience, tu n’es pas à plaindre. Savoure ton bonheur. On s’occupe de toi, de toi seul. »

Pourtant, au bout des quinze jours assignés à mon exil, on me renouvela l’ordre de me tenir tranquille et de ne pas donner signe de vie, et cela, sans me dire combien de temps encore il faudrait me résigner à ne rien savoir. J’eus des jours d’inquiétude sérieuse, et il fallut m’observer beaucoup en écrivant, pour n’en rien laisser paraître. Je m’en dédommageai avec Stéphen, qui me trouva quelquefois d’une humeur massacrante, et qui, jugeant la chose toute simple, ne m’en témoigna aucun dépit. Un jour, sa douceur vraiment admirable me causa de profonds remords. Il avait voulu me distraire en parlant peinture, et je lui avais presque dit que je détestais la peinture, même la sienne. En rentrant en moi-même, je résolus