Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/265

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ce prix. Je veux la forcer à s’expliquer sur ce qu’elle entend par ne pas me faire trop souffrir. Ne s’arrêtera-t-elle que devant la crainte de me voir fou, ou celle que j’en vienne à me brûler la cervelle ? Craint-elle seulement le scandale de mon désespoir, celui d’un duel entre nous, le blâme de ses amis devant ma douleur et mes plaintes ? ou bien a-t-elle de véritables remords de m’infliger une si sanglante humiliation ? Enfin elle a eu tort de vous imposer la condition de mon consentement ; je veux en vain vous le donner, on ne me l’arrachera peut-être qu’avec la vie. Elle aurait dû me congédier brutalement, la colère m’eût donné des forces, la haine m’eût soutenu, je me serais vengé en maudissant son bonheur, tandis que…

— Tandis que vous êtes sa victime ? m’écriai-je, incapable d’en entendre davantage sans indignation. Vous ne vous vengez pas, vous ! vous la torturez depuis trois semaines, et elle me le cache ! Vous la punissez amèrement de sa bonté, de sa patience à toute épreuve ! Et il y a quinze ans qu’elle subit cet esclavage inouï, cette tyrannie insensée ! il y a quinze ans que, pour récompenser quelques jours de dévouement, elle se dévoue à ménager l’insatiable vanité d’un homme sans courage et sans vertu ! Ce misérable égoïste ne se refuse rien, lui ; il n’a renoncé à aucun plaisir, il a des aventures, des velléités de mariage, il use de sa liberté dans le présent, il la réserve pour l’avenir, et il prétend que la femme qu’il honore jusqu’à nouvel ordre de sa préférence doit renoncer à tout pour ne pas le contrarier ! Elle doit se condamner à l’éternelle solitude pour qu’on ne dise pas dans notre petit monde qu’un autre a été plus dévoué et a