Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/73

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profits qui lui permettront ensuite de faire honnêtement et sagement son commerce ? S’il y avait des lois pour l’empêcher de prendre la rage du jeu et de risquer, avec son argent, la vie de milliers d’hommes ? Car vous savez bien que l’amour du gain devient une maladie, et qu’on voit des joueurs qui joueraient leur tête contre celle de leur prochain, s’ils n’avaient pas d’autre enjeu ! Mais non ! plus l’homme gagne, plus il veut gagner. La misère du peuple ne le fait pas réfléchir, et il verrait une nation périr de famine plutôt que de renoncer à la folie d’amasser des millions, et au plaisir de dire : « J’ai fait une bonne affaire. »

Artisans et cultivateurs, vous avez donc un ennemi commun, qui vous ruine et vous pressure tous autant les uns que les autres. Vous, gens de campagne, vous ne pensez pas autant à cet ennemi que les gens de la ville. Vous ne le voyez pas en face, c’est par toute sortes de manières détournées qu’il tire à lui la subsistance du pays. Vous accusez quelquefois votre voisin d’être la cause du mal, vous allez quelquefois voir dans son grenier s’il ne met pas du blé en réserve pour le moment de la cherté. Et souvent vous ne trouvez rien chez votre voisin ; car il est aussi innocent que vous-mêmes du malheur des temps. Il a peut-être vendu très honnêtement sa récolte avec peu de profit, et le blé est bien loin. Il a passé par des mains qui en ont pesé chaque grain, et qui vous le rendront au poids de l’or.

L’artisan à qui vous reprochez de lire les journaux et de s’inquiéter de la politique, sait mieux que vous