Page:Sand - Tamaris.djvu/99

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trême ; à droite, la falaise boisée arrondissait peu à peu l’âpreté de ses formes et s’en allait en ressauts élégants jusqu’à la plage de Brusc et aux îles. En face, il n’y avait plus que la mer. Nous étions à la pointe sud de la France, et nous enveloppions Paul de son manteau, car le vent était glacial. Une brume irisée au bord, mais compacte à l’horizon, faisait de la Méditerranée une fiction, une sorte de rêve, où passaient des navires qui semblaient flotter dans le vide. Au bas de la falaise, on distinguait les vagues claires et brillantes, encore diamantées par le soleil. Cent mètres plus loin, elles étaient livides, puis opaques, et puis elles n’étaient plus ; les derniers remous nageaient confondus avec les premières déchirures du nuage incommensurable. Une barque parut et disparut plusieurs fois à cette limite indécise, puis elle se plongea dans le voile et s’effaça comme si elle eût été submergée. Les voix fortes et enjouées des pêcheurs montèrent jusqu’à nous, comme le rire fantastique des invisibles esprits de la mer.

— Ils se sont donc envolés ? s’écria l’enfant.

— Non, répondit Marescat, ils sont en plein clair. Le nuage est entre eux et nous.

— Nous voici bien réellement au bout du monde, dit la marquise, dont je me rappelle la moindre impression. Tout le bleu qui est là devant nous n’appartient plus qu’à Dieu.

Un instant le vent fit une trouée dans le nuage, et