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Page:Stahl - Maroussia, 1878.djvu/86

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MAROUSSIA

« — Ce vieux a l’air d’un fin renard, dit le lieutenant, il se moque de nous.

« — Sais-tu à qui tu as affaire ? lui demanda le chef.

« — Comment le saurais-je ? répondit le vieux. C’est la première fois que nous causons ensemble. D’ailleurs, soyez ce que vous voudrez, des seigneurs ou des brigands, qu’est-ce que ça peut faire à un pauvre vieux comme moi, qui n’a ni sou ni maille ?

« — Tu as ta vie, dit le lieutenant.

« — Ma vie ? répondit le paysan. J’en ai par-dessus la tête, de ma vie. Avec ça que c’est agréable de tant vivre et si durement !

« — Nous te la laisserons, ta vie, vieux bavard, mais nous allons te prendre ton foin.

« — Mon foin n’est pas mon foin. Quand on vous dit qu’on n’a rien au monde, ça ne veut pas dire qu’on ait une montagne de foin comme celle-là à mettre dans sa poche. Si vous voulez la voler, volez-la, mais entamez-moi un peu la peau tout d’abord ; si je reviens sans accroc et sans foin, le maître, qui ne plaisante point, croira que je l’ai vendu pour boire ; — autant être roué de coups par vous que par lui.

« — Vieux drôle ! répondit le lieutenant, qui avait peine à s’empêcher de rire. Nous ne voulons de ton foin que de quoi offrir à déjeuner à nos chevaux.