Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas, on les subit, on les vit, on s’en imprègne, on s’y abandonne, on les entend, non avec l’intelligence discursive et représentative, mais grâce à une faculté spéciale qui est, je dirais, le fond même de nous, l’intuition.

Eh bien ! pouvoir, savoir exprimer cette intuition constitue le poète, et j’appelle poésie l’extériorisation d’une conscience spontanée, le son direct d’une âme au contact des êtres.

Qu’est-ce à dire, sinon que la poésie est mieux qu’un amusement, un rêve grave, une parole profonde, — car pas de profondeur, pas de poésie, — un chant intense, la réfraction de l’univers à travers un tempérament — et un cerveau, l’équivalent conscient de la nature, l’expression de nos émotions, c’est-à-dire de notre être dans ses rapports avec le Tout, la représentation concrète de la vie fugitive fixée un instant par l’artifice des mots, l’écho intelligent, synthétique des bruits enchevêtrés de la nature.

Cette poésie, la vraie, la pure, dont pas n’est besoin de donner d’exemples parce qu’on saura bien en trouver dans les chœurs des tragiques grecs, dans la Divine Comédie, dans Shakespeare, dans Wordsworth, dans Victor Hugo, — cette poésie possède le droit de s’asseoir aux côtés de la métaphysique sa sœur et peut se définir une métaphysique manifestée par des images et rendue sensible au cœur[1]. Ce

  1. M. Brunetière à qui j’emprunte cette heureuse formule a soin