Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/45

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la colore. Je deviens racine, scion, écorce, toute la forêt. Sans doute, je communique par rayonnement psychique mes sentiments, qu’ainsi je retrouve sympathiquement répercutés ; mais à son tour, la forêt agit sur mon être, me baigne dans sa sérénité, se fait état d’âme, pour dire le mot. L’échange spirituel s’est accompli ; je la comprends, et elle, vraiment, me contient. À quoi bon l’exprimer, si je suis moi-même son expression ! Toujours je vais. Alors je bouillonne avec les sèves, je sue avec les bourgeons. L’effort des germinations tend mon vouloir. À défaut du cor d’argent cher à Siegfried, je gonfle ma poitrine du souffle énorme accumulé sous les ogives de verdure de cette cathédrale aux fûts élancés ; avec tous ceux de ma race, moi, je crie mon bonheur d’être, l’ivresse des jours anciens, l’espoir des temps nouveaux, et ma voix, et toutes les voix que je résume, la forêt magique les redit, les propage dans le vent qui s’élève, accrues immensément, car cette forêt n’est autre que moi-même mille et mille fois réfléchi. Les oiseaux chantent, ils disent mes transports. La bise souffle et toutes les feuilles bruissent en moi. Ainsi j’ai participé au sentiment de la nature ; je me suis donné la forêt ; j’ai pensé la forêt ; j’ai voulu la forêt, un instant je l’ai vécue[1].

  1. M. Mithouard, dans la dernière pièce de son recueil, Récital mystique, pièce intitulée : le Mari de la forêt, a donné un très bel exemple de ce procédé immanent.