Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/56

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chaque événement moral dans un paysage approprié. Je mêle tout et je parle, je parle, je parle. Bientôt je vois mon virus dans vos yeux ; je vous injecte mon émotion ; ma douleur est vôtre, vous vous traînez sur mes pas. Vous vous apitoyez enfin, car vous m’avez compris totalement, par la pensée et par le cœur.

Comment donc vous ai-je inoculé la violence de ma passion au point qu’à présent vous la vivez ? Par des accumulations successives d’épithètes, en soulevant au hasard de la conversation tel et tel rideau qui vous tamisait la clarté de mon âme. Mon transport, je ne l’ai pas résumé en une formule, je n’ai pu faire bref, ni me crier tout entier en une définition, car toute définition se présente abstraite et incomplète ; alors vous m’auriez entendu, mais non senti. Peu à peu mes mots, mes images, mes gestes, le son de ma voix, l’expression de mon visage se sont saisis de votre esprit, l’ont capté dans leurs réseaux émotionnels. Vous rejetant hors de vous, je vous tire à moi. À force, vous cédez et finissez par consentir à communier ma douleur. Sans savoir, j’ai planté en vous par sympathie mon sentiment. Et vous de crier : « Comme je vous reconnais bien ! » Pourtant devant qui vous prierait, par cet exemple vécu, de faire tenir ma vie en une définition, vous demeureriez muet. C’est qu’une vie, c’est qu’une passion est trop complexe à la fois et trop indivisible